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importance à des manifestations populaires qui ne sauraient engager la politique des partis. Ces partis eux-mêmes, quelque sincères, que fussent leurs sympathies pour la France, ne songeaient à rien moins qu’à porter atteinte à la neutralité observée par l’Autriche-Hongrie. Les vœux exprimés tour à tour par les deux côtés de l’assemblée en faveur des Français n’ont jamais cessé d’être platoniques ; jamais ils n’ont été de nature à entraîner les Magyars dans une alliance quelconque ou dans une sérieuse intervention. La nation hongroise éprouve depuis quelques années la lassitude permise aux vieux soldats ; elle a, plus que toute autre, prodigué son sang de siècle en siècle. Les stériles efforts de 1849 et les batailles de Solferino et de Sadowa, livrées sans enthousiasme, perdues sans regret, lui ont donné l’amour du travail paisible et le dégoût de la politique guerroyante. Avec un sol aussi riche, avec autant de blé, de vin, de sel, de métaux, avec tous les élémens d’une indestructible richesse, pourquoi jouer le rôle dangereux de don Quichotte, qui a, si mal réussi à d’autres peuples chevaleresques ? Mieux vaut continuer ses canaux, achever son réseau de chemins de fer, réformer des institutions arriérées, fonder des écoles pratiques, et conserver l’inappréciable neutralité.

Ce raisonnement fort naturel aurait suffi pour contenir dans de prudentes limites l’élan sincère de la plupart des Hongrois ; mais il y avait plus. Ils étaient tous d’accord pour ne souhaiter à la France ni une défaite qui pouvait écraser la Hongrie aussi bien que la cour de Vienne, ni une victoire qui pouvait rendre à François-Joseph la domination de l’Allemagne avec une force suffisante pour retirer toutes les concessions faites aux Magyars. Un autre sentiment grandissait avec notre abaissement, et maintenant encore ne cesse de grandir. Ce que l’on détestait jusque-là dans la Prusse, c’était la vieille alliée de la Russie. Plus on voyait que les progrès militaires de l’Allemagne mécontentaient le parti national russe et le faisaient pencher en faveur de la France, plus les Hongrois se disaient que tout n’était pas mauvais dans les victoires prussiennes, puisqu’elles effrayaient le Moscovite, le vainqueur de 1849, l’éternel ennemi. Rien n’a plus contribué à réconcilier les Magyars avec les changemens subis par la situation politique de l’Europe, et à leur faire accepter sans réclamation ni déplaisir l’hégémonie allemande. Cependant des craintes plus pressantes, des intérêts plus immédiats, rapprochent les Hongrois de la Prusse, très habile à profiter de ces craintes, à encourager ces intérêts.

Le Magyar n’est pas vénal, mais il est ambitieux. Cette périlleuse qualité ou ce noble défaut lui fait désirer avec ardeur la grandeur de son pays plus encore que la sienne. Son rêve perpétuel, c’est la