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Ce que la haine d’Eschine avec sa verve injurieuse et violente travestit de la sorte, c’est une adolescence studieuse et réfléchie, qu’avaient trop tôt obscurcie de leur ombre de douloureuses préoccupations d’avenir. Si nous en croyons Plutarque, c’est dès ce temps que Démosthène aurait reçu de ses camarades des sobriquets railleurs, plaisanteries de collège, comme nous dirions, qu’exploite plus tard contre l’homme politique l’animosité de ses adversaires. On l’appelait Battalos. Sur le sens de ce terme, déjà Plutarque hésitait. A la manière pourtant dont Eschine l’emploie et le commente, il paraît désigner un homme qui a quelque chose de recherché et d’efféminé dans ses goûts, dans son costume, dans toute sa manière d’être. On l’appelait encore Argas, surnom qui s’appliquait, disent les biographes, aux gens d’un caractère maussade et hargneux. Tout ceci s’explique. Les autres adolescens, ceux qui entraient dans la vie riches tout au moins de vigueur et de santé, ceux que ne tourmentait point le souci du lendemain, trouvaient déplaisant ce jeune homme malingre et pensif ; ils lui en voulaient de ne guère se mêler aux jeux bruyans de la palestre, de rêver à l’écart, enveloppé de chauds vêtemens, tandis que ses compagnons d’âge, déposant tunique et manteau, faisaient couler l’huile sur leurs membres nus et se provoquaient joyeusement à faire preuve de force ou d’adresse ; ils trouvaient mauvais qu’il ne se prêtât point volontiers à ces gais bavardages, à ces longues confidences qui remplissaient pour eux les heures de repos. Pendant ce temps, sans faire attention aux chuchotemens et aux mauvais sourires, Démosthène songeait au loyer près duquel pleurait sa mère, à sa jeune sœur, dont la dot serait dévorée et qu’il lui faudrait pourtant établir, à lui-même et aux obstacles qu’il trouverait sur son chemin. Peu à peu se dégageait et s’arrêtait dans son esprit la ferme volonté de ne point laisser impunies ces prévarications, de relever, à force de persévérance et d’énergie, cette fortune qu’avait créée l’industrieuse activité de son père. Ce n’était pas par les talens et les prouesses de l’athlète qu’il y parviendrait ; on comprend donc qu’il soit resté assez indifférent à ces exercices de gymnastique. En revanche, dès que lui furent fournis les moyens de cultiver son esprit, il les saisit avec ardeur.

Nous n’avons aucun détail sur ses premières études, qui durent être celles de tous les jeunes Athéniens de bonne famille. Presque tout le monde, à Athènes, même les gens de la plus basse condition, savait plus ou moins lire et écrire. Si l’on en avait cru ses tuteurs, il s’en serait tenu là ; plus il serait ignorant, moins ils auraient à craindre qu’il ne les poursuivît de ses réclamations et ne réussît à se faire écouter. Les 7 mines annuellement payées par Thérippide pour l’entretien de la veuve et des enfans ne pouvaient suffire à