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l’orphelin, sans risquer, comme c’était le cas dans les procès ordinaires, d’être condamné à une amende, si le cinquième au moins des voix du jury ne se prononçaient pas dans le sens de sa requête. Pourquoi, lorsque le législateur semblait provoquer lui-même ce genre d’intervention, Démocharès ou quelque autre Athénien ne saisit-il pas l’archonte d’une plainte contre les tuteurs ? C’est que ceux-ci étaient tous les trois des gens riches et bien posés ; c’est que, grâce à la parfaite entente qui s’était établie entre ces trois larrons, il eût été difficile de les prendre en défaut et de voir clair, dès ce moment, dans les comptes de la succession. A Athènes d’ailleurs, comme en tout pays, on se mêlait volontiers des affaires du voisin tant qu’il ne s’agissait que de satisfaire sa curiosité et de se donner des airs d’importance ; mais fallait-il s’engager, pour obliger autrui, dans une longue et pénible entreprise, y perdre du temps et y gagner des ennemis, le zèle se refroidissait vite, et l’on s’en tenait presque toujours à de stériles marques d’intérêt.

Si Démocharès n’osa point aller jusqu’à courir les chances d’un procès, afin de s’opposer à ces dilapidations, au moins semble-t-il avoir contribué à rendre le jeune Démosthène capable d’en tirer un jour vengeance. Aphobos, au bout de deux ans, quand il revint d’une absence qu’il avait faite comme triérarque ou commandant de galère, quitta la maison de son oncle, où il s’était d’abord installé, et retourna s’établir dans sa propre habitation ; il s’y sentait sans doute plus à l’aise pour travailler à dépouiller ses pupilles. A partir de ce moment, les enfans restèrent seuls dans la demeure paternelle avec leur mère. Thérippide remettait à celle-ci, pour son entretien et celui des enfans, 7 mines (environ 650 francs) par an. Cette somme, toute modique qu’elle nous paraisse, semble avoir été suffisante. Démosthène n’élève aucune plainte à ce sujet, et des exemples tirés de documens contemporains prouvent qu’il n’en fallait pas plus à deux ou trois personnes pour vivre fort à l’aise[1]. Le ménage de la veuve était donc à l’abri du besoin ; mais il ne s’agissait pas seulement de nourrir et de vêtir ces enfans ; il fallait par l’éducation faire un homme de cet adolescent. On est tenté de croire, en songeant au caractère et au génie du fils, que Kléobulé était une femme distinguée ; ce n’en était pas moins là une lourde tâche pour une veuve, élevée comme l’étaient les femmes athéniennes, étrangère à la société des hommes, à leur conversation, à leurs études

  1. Voyez le discours attribué à Démosthène, contre Bœtos sur la dot (§ 50). Le plaignant, Mantithéos, y dit que les intérêts de la dot de sa mère, dot qui était de 1 talent, ont suffi pour son entretien et son éducation. Or, en comptant les intérêts de cette somme à 12 pour 100, ce qui était pour Athènes le taux ordinaire, on arrive encore à 7 mines environ.