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pour procéder à une adjudication publique ; mais c’est là une assertion qu’ils s’étaient chargés eux-mêmes de réfuter. En effet, dès le lendemain du décès, ils avaient déclaré, pour ce patrimoine qu’ils étaient chargés d’administrer, 15 talens, ce qui était en tout cas une évaluation fort exagérée ; c’est à ce titre qu’ils avaient fait inscrire le jeune Démosthène, à côté des citoyens les plus renommés pour leur opulence, sur les rôles dressés en vue de cet impôt sur le capital, impôt à la fois proportionnel et progressif, auquel Athènes demandait, quand elle avait quelque guerre à soutenir, des ressources extraordinaires[1]. Il se trouvait rangé ainsi dans la première catégorie des contribuables, dans la catégorie des citoyens les plus imposés ; ce fut pour lui une chance inespérée que, pendant toute la durée de sa minorité, la paix ne fut pour ainsi dire pas troublée. Autrement il lui aurait encore fallu, de ce chef, payer de grosses sommes pour ce patrimoine, que diminuaient de jour en jour la négligence et l’infidélité de ceux aux mains desquels il avait été remis.

Que le père eût manifesté ou non le désir de voir affermé le patrimoine de ses héritiers, les tuteurs ne songèrent pas un instant à entrer dans cette voie ; il leur était trop commode d’en prendre à leur aise avec cette riche succession. Autant que l’on peut en juger, tous les trois se valaient ; ils n’eurent pas de peine à s’entendre pour dépouiller leurs pupilles. Afin d’entrer en jouissance des legs qui leur avaient été attribués, ils commencèrent par gaspiller le matériel de cette industrie, alors en pleine prospérité, qui faisait le plus clair de l’avoir des mineurs. Il y avait en magasin pour les deux fabriques des réserves de métal, de couleurs et de vernis ; on les vendit pour compter à Thérippide les 70 mines dont il devait avoir l’usufruit jusqu’à la majorité de Démosthène. La mesure que prit Aphobos fut encore plus fatale. Pour 50 des 80 mines qui lui revenaient, il s’était attribué un ensemble d’objets qui, selon Démosthène, en valait bien 100, les meubles, la vaisselle, qui comprenais plusieurs coupes d’or et d’argent, les bijoux enfin de cette femme qu’il était censé devoir épouser. Pour parfaire la somme, il mit en vente la moitié des esclaves armuriers, et il se paya sur le prix.

Voilà donc un atelier désorganisé. Au moins les tuteurs tâchèrent-ils de réparer, dans la mesure du possible, le mal qu’avait fait leur avide précipitation ? Ils ne paraissent pas en avoir eu même la pensée ; la suite de leur administration répondit aux débuts. Ce fut d’abord Aphobos qui entreprit de diriger la fabrique. Pendant les deux premières années, il la conduisit ou plutôt la laissa conduire

  1. Sur l’assiette de cet impôt et les changemens qu’elle a subis depuis le temps de Solon jusqu’à celui de Démosthène, voyez Bœckh, Économie politique des Athéniens, 2e édition, liv. IV, ch. 1 à 9.