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Aphobsos s’empara de même des 80 mines qui représentaient la dot de la veuve, et il choisit dans le mobilier ce qui pouvait lui convenir ; mais aucun d’eux ne songea à exécuter les conditions auxquelles, dans l’esprit du testateur, était subordonnée la remise de ces legs.

C’était Aphobos qui aurait dû donner l’exemple. Nous ne voyons point que la loi athénienne imposât à la femme, en cas de divorce ou de veuvage, un certain délai pendant lequel il lui fût interdit de contracter une nouvelle union. Le législateur antique n’avait point à cet égard les scrupules et la précision du législateur moderne ; au risque de soulever parfois de délicates questions de paternité, il laissait l’usage et les mœurs régler cette matière, fixer la durée de l’intervalle qui séparerait les deux mariages. Si, pour épouser la fille, Démophon devait attendre qu’elle eût atteint l’âge nubile, Aphobos pouvait devenir le mari de la mère, aussitôt que se seraient apaisés les premiers transports de sa douleur. L’empressement qu’il aurait mis à se prévaloir du droit qui lui avait été conféré n’aurait choqué personne, pas même la veuve, quelle que fût la sincérité de son affliction.

La femme athénienne était accoutumée dès l’enfance à l’idée de voir ses parens disposer de sa personne sans la consulter, de se voir, si elle était orpheline, adjugée par un tribunal, avec l’héritage qu’elle était chargée de transmettre, à celui qui prouvait lui tenir du plus près par le sang, De ses sentimens et de ses secrètes préférences, de l’accord des âges et des goûts, il n’était pas question en pareille matière. Telle est pourtant la force des liens naturels, et le cœur de la femme éprouve un tel besoin de se donner et d’aimer, qu’il y avait à Athènes même, dans cette société qui traitait ainsi le mariage, de vives et profondes affections conjugales ; elles y étaient moins rares que l’on ne serait porté à le croire. Les lois et les mœurs n’avaient pas le moindre souci d’assortir les caractères et de préparer ainsi la fusion des âmes et des volontés ; mais souvent le hasard corrigeait la faute des hommes et les servait mieux qu’ils ne le méritaient. D’ailleurs, pour peu que les femmes trouvassent d’égards et de bonté chez l’homme à qui les avait liées la volonté de ceux qui décidaient en maîtres de leur sort, elles se résignaient aisément, et, dès qu’elles avaient des enfans et quelque aisance, elles se trouvaient heureuses. Loin de répugner à un second mariage, la veuve de Démosthène aurait donc accepté tout d’abord l’époux qu’avait pris soin de lui désigner la prévoyante tendresse de celui qu’elle pleurait ; c’eût même été pour elle une consolation et une joie de voir ses enfans retrouver ainsi un père qui s’attacherait à eux en vivant sous le même toit et en recevant leurs caresses. Toutes ces espérances, Aphobos les trompa ; ni alors, ni plus tard, il ne témoigna