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d’autres fois, dans une plus humble condition, c’était quelque liaison, née des ennuis de l’exil ou des hasards du voyage, qui tournait en habitude et créait une famille. Dans l’un et l’autre cas, on éprouvait le désir d’assurer l’avenir des enfans nés de ces unions ; on se préoccupait de leur procurer les avantages attachés au droit de bourgeoisie. Il suffisait au père, pour y réussir, de trouver à Athènes, quand il y rentrait afin de régler cette affaire, un peu de complaisance chez les membres de la phratrie, association religieuse, et du dème, subdivision toute politique de la cité, auxquels il appartenait par sa naissance ; si l’on acceptait, sans y regarder de trop près, la déclaration du chef de famille, si l’on inscrivait sur les registres de la phratrie et du dème les enfans qu’il présentait comme ses héritiers légitimes, il y avait au bout de quelques années possession d’état, conquête de la qualité de citoyen par le bénéfice d’une sorte de prescription. Trop de citoyens étaient d’ailleurs intéressés à profiter de cette tolérance pour que le plus souvent, quand on n’avait pas d’ennemi disposé à contester la sincérité de la déclaration, les choses ne s’arrangeassent pas ainsi à l’amiable ; on laissait volontiers à son voisin une faculté dont on pouvait avoir soi-même besoin d’user un jour ou l’autre.

Voilà comment il se fit que l’illustre orateur, quoique issu d’un mariage dont la validité eût pu être contestée au point de vue du droit strict, ne vit jamais sa qualité de citoyen sérieusement contestée. Démosthène le père était un bourgeois riche et considéré ; ne jouant pas de rôle politique, il ne s’était point fait d’ennemis ; sa fortune lui permettait de rendre des services aux membres de sa phratrie et de son dème, de les traiter sans parcimonie quand c’était son tour de supporter les frais des sacrifices annuels et des repas où sa réunissaient ceux qui appartenaient à une même confrérie, à une même commune. Ainsi tous les ans, à l’automne, dans le courant du mois de pyanepsion, revenait l’antique fête ionienne des Apaturies, fête des familles, fête des morts et de l’enfance ; là les chefs de maison réunis dans un lieu consacré, autour de l’autel de Zeus et d’Athéné, protecteurs éternels, patrons de la phratrie, présentaient leurs hommages aux mânes des ancêtres, et par une solennelle cérémonie religieuse ils admettaient dans l’association, — nous allions dire dans l’église, — les nouveau-nés qui devaient plus tard y prendre la place de leurs pères et y offrir à leur tour les sacrifices héréditaires, symboles de l’étroite solidarité qui relie les unes aux autres les générations endormies sous la terre et celles qui continuent leur œuvre dans la cité. Alors donc que, dans la quatrième année de la 98e olympiade (384 avant J. -C), le troisième jour de la fête, Démosthène l’armurier présentait à ses phratores ou confrères le fils qu’il avait eu de Kléobulé, la fille de Gylon, il