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recueillir, gouverneurs des provinces et fermiers des taxes. Malgré les profits que lui assurait une pareille situation, Gylon fut pris, au bout d’un certain nombre d’années, du désir de revoir Athènes ; c’était là qu’il voulait jouir de ses richesses, là qu’il désirait établir les deux filles nées d’un mariage contracté dans le Bosphore. Aussitôt après son retour il eut, paraît-il, à rendre compte devant le jury de sa conduite passée et fut condamné à une amende. En effet, dans le procès qu’il eut à soutenir contre Démosthène, Aphobos, le tuteur infidèle, ayant dit que l’aïeul maternel de son pupille était mort débiteur de l’état, Démosthène ne nie point la dette, mais il se contente d’affirmer qu’elle avait été payée avant la mort de Gylon ; or c’était le plus souvent pour une amende non encore acquittée que l’on était inscrit sur cette liste et frappé d’atimie, c’est-à-dire de la perte des droits politiques jusqu’à ce qu’on se fût mis en règle.

Ce procès, si procès il y eut, n’empêcha pas Gylon de marier ses deux filles à des citoyens aisés et estimés ; l’une épousa Démocharès de Leukonoé, l’autre Démosthène, le fabricant d’épées. D’après Eschine, ces mariages auraient été nuls aux yeux de la loi athénienne, Gylon ayant eu ces filles, dans le Bosphore, d’une femme de race barbare : il reproche à Démosthène d’avoir dans les veines le sang de ces nomades ignorans et brutaux, il l’appelle « un Scythe et un barbare. » Ces attaques, Démosthène n’y répond qu’en diffamant et en insultant bien plus gravement la mère d’Eschine ; de sa propre aïeule, il ne dit rien. C’est qu’il est en effet peu probable que Gylon ait trouvé, dans son exil, à épouser une Athénienne. Que sa femme fût d’origine grecque ou scythique, c’était au point de vue du droit strict chose indifférente. Une loi portée ou plutôt renouvelée, à la fin du Ve siècle, après le rétablissement de la démocratie, refusait le droit de cité à quiconque, après ce moment, ne serait pas né tout à la fois d’un citoyen et d’une citoyenne ; à moins donc que la mère de Démosthène ne fût venue au monde avant l’archontat d’Euclide (403), ce qui n’est pas impossible, on pouvait à la rigueur contester la validité du mariage et par suite la légitimité même de l’orateur et son droit de prendre part aux délibérations et aux votes de l’assemblée. Il ne paraît pourtant pas que, soit dans les discussions d’intérêt qu’il eut avec ses tuteurs, soit dans les procès que lui intentèrent ses ennemis politiques, on ait jamais sérieusement mis en question sa qualité de bourgeois d’Athènes. Eschine prétend bien que c’est seulement par faveur et à grand’peine que son adversaire a jadis obtenu de figurer sur les listes électorales, dans le dème de Péanée ; il affecte de s’indigner des dangers auxquels Athènes a été exposée par cet intrus, par « cet homme indûment