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mot ! — Veillée de silence, d’amour et de mort, — veillée à nous deux, mon fils et mon soldat ! — Les étoiles glissent vers l’Orient, — cette nuit sera pour vous la dernière, brave garçon ! Je n’ai pu vous sauver, soudaine a été votre mort, mais je vous ai fidèlement aimé vivant, et je sais que nous nous retrouverons.

« Comme la nuit languissante faisait place au matin, — j’enveloppai mon camarade de sa couverture grise, — pliai avec soin ce linceul sous sa tête, sous ses pieds, puis je déposai mon fils baigné par le soleil levant dans sa tombe rudement creusée. — La veillée se termina ainsi… Je me levai de la terre froide, et enterrai un soldat à la place même où il était tombé ! »


Une autre fois il nous conduit à l’ambulance, une ambulance improvisée dans la vieille église au fond des bois : les lampes voltigent, déchirant l’ombre noire d’une lueur rapide ; une grande torche goudronnée, stationnaire, jette sa sauvage flamme rouge et des nuages de fumée sur les groupes confus, sur les formes vagues couchées par terre ou qui surchargent les bancs. Le poète ne nous fait grâce ni de l’odeur du sang confondue avec celle de l’éther, ni de la sueur des spasmes suprêmes, ni des éclairs qui jaillissent de l’instrument d’acier en train de travailler les chairs en lambeaux ; il écarte la couverture de laine qui couvre le visage des morts, il recueille le demi-sourire que lui adresse le jeune volontaire, un enfant, en exhalant son dernier souffle ; il pense au Christ mort pour ses frères, le sentiment religieux et la divine pitié relèvent la rudesse de certains détails au point d’en faire une beauté de plus. Pour être juste, il faudrait tout citer de ces éloquens et farouches Roulemens de tambour : — la Tombe, la pauvre tombe du soldat, ignorée, perdue dans les bois de la Virginie, et que le poète, qui l’a rencontrée une fois, retrouve sans cesse sous ses pieds, au milieu des rues bruyantes et des fêtes de la vie ; — les Rêves de guerre, qui nous transportent en plein carnage avec trop de musique imitative : sifflemens de balles, explosion d’obus ; — le Camp, où nous goûtons un instant ce repos inquiet qui suit les marches forcées et précède la bataille ; — la Vision, qui ramène au milieu de la fusillade le vétéran revenu au foyer, tandis qu’à l’heure de minuit il s’accoude sur l’oreiller de sa femme endormie, et que la douce respiration du baby s’élève, retombe dans le silence ; — l’Hymne aux soldats morts :


« La lune vous donne sa clarté, — les clairons et le tambour vous donnent leur musique, — Je vous donne aussi ce que j’ai, mon cœur, ô mes soldats, — mon cœur vous donne son amour ! »