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manifeste diffus l’apologie embarrassée de leur conduite. Une proclamation était aussi adressée à l’armée. « Tous les efforts du roi pour maintenir la paix ont été infructueux, et si toute l’Allemagne septentrionale et peut-être l’Europe entière ne doivent pas être abandonnées à la volonté arbitraire d’un ennemi qui ne connaît pas de repos et de ses armées dévastatrices, la guerre est inévitable[1]… » Le cabinet de Berlin ne dissimulait point les difficultés de l’entreprise, il s’en remettait à ses soldats et à Dieu. « Nous allons combattre un ennemi qui a vaincu des armées nombreuses, humilié des monarchies puissantes ;… mais une victoire constante et une prospérité durable ne sont accordées qu’à la cause de la justice[2]. La voix des contemporains a prononcé pour vous[3]. »

On raconte que soixante ans plus tard, au lendemain de Sadowa, le général de Moltke, considérant comme fatale une guerre avec la France, proposa de l’entreprendre immédiatement. Les revendications territoriales de l’empereur Napoléon III auraient fourni le prétexte. L’Allemagne se serait soulevée. Le plan était tracé, l’armée pleine d’élan ; par une marche hardie, mais dont le succès semblait assuré, M. de Moltke offrait de retourner ses colonnes et de se précipiter sur la France réveillée en sursaut, surprise en pleine désorganisation militaire. De même qu’en Prusse après Austerlitz, il y avait là un peuple ardent à la gloire, jaloux d’honneur, plein de confiance dans son armée, à la fois dédaigneux de ses rivaux et froissé par leurs triomphes, habitué surtout à ne point laisser tirer en Europe de coups de canon sans donner son avis, ni modifier la carte sans qu’il s’en mêlât, comme en 1806 il y avait en présence deux gouvernemens : l’un audacieux, sans scrupules, heureux même dans ses imprudences, soutenu par des victoires éclatantes et porté par l’enthousiasme d’une nation encore sous le coup des-fièvres révolutionnaires ; l’autre caduc et déchu, ne payant plus que d’apparences, présomptueux et irrésolu, irritable et mobile, sans conseils, sans volonté, et sentant frémir sous lui un peuple qui s’inquiète, une armée qui s’impatiente, jouant au plus fin d’abord, jouant au plus fort ensuite, et toujours manquant l’heure et perdant la partie. Tromper les ambitions

  1. « La Prusse n’a tenu aucun compte de notre bon vouloir et de notre longanimité. Lancée dans une voie d’envahissement, elle a éveillé toutes les défiances et fait de l’Europe un camp où règnent l’incertitude et la crainte du lendemain. » — Napoléon III, proclamations, juillet 1870.
  2. « Vous allez combattre une des meilleures armées de l’Europe… Dieu bénisse nos efforts ! Un grand peuple qui défend une juste cause est invincible. » — Id.
  3. « Nous attendons sans inquiétude le jugement de nos contemporains comme celui de la postérité. » — Duc de Gramont, 31 juillet 1870.