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météorologie. Ce qui s’agitait dans ce débat était plus grave qu’une simple question scientifique ; il s’agissait en effet de savoir si les forêts doivent être conservées avec soin ou sacrifiées à des cultures plus productives. Les partisans de la sylviculture s’appuieraient sans doute avec empressement aujourd’hui sur les beaux résultats que le reboisement a donnés dans les Alpes. N’est-ce pas en plantant des montagnes chauves que l’on y ramène la richesse et la sécurité ? il serait inexact d’en tirer tout de suite des conséquences trop favorables aux forêts. Rien ne prouve après tout que la végétation arborescente influe sur le climat, ce qui serait le point important à établir. Dans les montagnes, les arbres jouent en quelque sorte un rôle mécanique, parce que leur feuillage donne de l’ombre à la terre et que leurs racines retiennent les eaux pluviales, que par suite ils modifient le régime des ruisseaux. À ce point de vue, les forêts des pays de montagne sont d’intérêt public ; c’est la sauvegarde des vallées et des plaines situées eu aval. On l’a vu, le modeste gazon des pâturages est un protecteur presque aussi efficace que les plus belles futaies. Forêts et herbages contribuent à la bonne répartition des eaux sur de vastes étendues de territoire, et, si l’on a l’imprudence de les laisser dépérir, le dommage s’en fait sentir au loin.

Est-il besoin de cet avertissement pour nous faire voir que toutes les parties du territoire national sont solidaires les unes des autres ? On l’a peut-être trop oublié. On s’est laissé persuader insensiblement que les plaines aux belles récoltes, aux cultures intensives, méritent seules d’attirer l’attention, que les départemens très peuplés ont seuls droit aux chemins de fer, aux canaux, que les travaux publics dont le budget de l’état fait les frais doivent être réservés aux régions de la France qui en tirent le plus de profit, et si l’on consent à les distribuer d’une main avare aux contrées moins richement dotées par la nature, il semble que ce soit une aumône qu’on leur accorde. Cet égoïsme est un mauvais calcul ; ce qui précède l’a suffisamment démontré.

Au moyen âge, les régions montagneuses de la France vécurent dans un état de tranquillité relative que des pays en apparence plus prospères pouvaient leur envier. On y était à l’abri des invasions, des conquêtes ; l’âpreté du sol les protégeait contre les bandes armées qui se livraient au brigandage quand la paix leur faisait des loisirs. Les Cévennes et les Alpes ne connurent la guerre qu’aux époques d’intolérance religieuse. Les montagnards étaient en somme paisibles et heureux, car du monde extérieur ils ne voyaient rien qu’ils eussent raison d’envier. Un peu plus tard, lorsqu’ils se trouvèrent en relations plus intimes avec les habitans de la plaine, ils eurent leurs représentans dans les assemblées du Dauphiné, du