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pendant plusieurs années. On y voyait alors l’herbe repousser, les arbustes même reparaître ; mais les habitans ne se résignaient qu’avec peine à ce sacrifice momentané de leurs communaux, puisqu’ils y perdaient les avantages de la culture pastorale, la seule que la nature escarpée du terrain leur permît. D’ailleurs ces divers remèdes, digues, barrages, mise en réserve, ne s’appliquaient nulle part avec ensemble, de manière à en obtenir la plus grande efficacité possible ; chacun agissait un peu à l’aventure, sans bien comprendre ce qui était le plus avantageux, et avec un dédain trop marqué de l’intérêt du voisin. Au surplus, les travaux de préservation dirigés contre les torrens se portaient de préférence sur la partie inférieure de leur cours, sur le cône de déjection, où les dommages étaient plus sensibles que dans la montagne. Ce fut un des grands mérites de M. Surell de démontrer jusqu’à l’évidence qu’il n’y avait rien à faire que de provisoire dans la vallée où débouche le torrent, et que le remède devait s’attaquer à la racine même du mal, être appliqué au bassin de réception, dans lequel se réunissent par filets imperceptibles les eaux qui plus bas affouillent les berges de leur lit, et plus bas encore roulent des avalanches de blocs et de cailloux.

Éteindre un torrent, pour employer l’ingénieuse expression que M. Surell a fait adopter, ce n’est pas en tarir les sources et en dessécher le lit ; c’est simplement mettre obstacle à ce que les eaux entraînent dans leur cours impétueux de la boue, des graviers et des fragmens de rocher. Par cela seul que les eaux cessent d’être troubles, il est évident qu’elles cessent aussi d’être nuisibles, puisqu’elles ne rongent plus le sol et qu’elles ne déposent plus de sédiment. Or l’extinction s’obtient par les quatre opérations que voici : 1° tracer dans la montagne autour du bassin de réception une zone de défense dont l’accès est interdit aux troupeaux ; 2° boiser cette zone par des plantations appropriées au sol et au climat, ou tout au moins y favoriser la végétation herbacée ; 3° planter des arbustes ou des broussailles à racines filamenteuses sur les berges vives, dont l’éboulement est sans cesse à craindre ; 4° construire enfin des barrages en pierres ou en fascines en travers de tous les ravins, de façon à entraver le cours de l’eau et l’obliger à déposer les détritus dont elle est chargée. Ces diverses opérations, simples au fond et même peu coûteuses, devaient rencontrer cependant une vive résistance de la part des plus intéressés, des habitans de la montagne, qui de mémoire d’homme usaient et abusaient de leurs pâturages, et ne se résignaient pas de bonne grâce à en faire le sacrifice. Exclure les troupeaux d’une partie de leurs terrains, c’était en effet leur enlever une partie de leurs revenus ; encore moins