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I

Les rivières qui coulent des Alpes françaises vers le Rhône, la Durance, le Drac, la Romanche, ont un cours rapide et tortueux ; elles charrient des sables et de la boue, elles s’enflent beaucoup dans la saison des orages et des fontes de neige, et diminuent de volume le reste de l’année. Toutefois ce ne sont pas ces cours d’eau, que les gens du pays appellent des torrens, ils réservent ce nom à de courts affluens qui prennent naissance dans les replis des montagnes, s’enfoncent entre des talus abrupts et débouchent dans la vallée principale après un parcours de quelques kilomètres, en s’étalant sur un lit démesurément large et bombé. Le torrent se divise ainsi en trois parties distinctes : un bassin de réception, un canal d’écoulement et un cône de déjection. Le bassin de réception a la forme d’un vaste entonnoir dont les flancs, ravinés par les eaux, s’éboulent à chaque pluie d’orage. Lorsqu’il est situé dans les parties hautes des montagnes, la neige que l’hiver y avait amoncelée s’affaisse en peu de jours aux premières chaleurs du printemps, et la masse liquide qu’accumule au fond de l’entonnoir une infinité de petits courans produit une crue non moins subite qu’excessive. La terre, les cailloux, même des fragmens de rocher, sont entraînés par les eaux, si bien que la capacité du bassin s’agrandit à chaque crue. En été, toute grosse pluie d’orage est suivie du même effet. L’eau ruisselle rapidement sur les flancs dépouillés et ameublis, que ne protège nul arbuste, nulle racine. La montagne est rongée jusqu’à ce que le roc vif soit mis à nu. Ce qui caractérise spécialement le bassin de réception est que le torrent y affouille sans cesse. Le canal d’écoulement est une gorge étroite, profondément encaissée entre deux berges abruptes qui, minées par le courant, s’éboulent de temps en temps, et fournissent au torrent une grande masse de ses alluvions et les plus gros des blocs qu’il charrie. A part ces éboulemens, le courant n’y affouille pas ; il n’y dépose rien non plus, car la pente du lit est toujours assez forte ; mais, lorsqu’au sortir de cette gorge les eaux débouchent dans la vallée, elles se répandent sur une large surface, y perdent par conséquent leur vitesse et abandonnent les matériaux qu’elles n’ont plus la force d’entraîner, les plus gros d’abord, les moindres un peu plus loin. C’est ainsi que se forme le cône de déjection, montagne artificielle ronde et bombée, masse de blocs et de cailloux, qui s’accole à la montagne véritable et s’étale aux dépens de la vallée. Le ruisseau, quand il est calme, coule habituellement sur l’arête culminante de ce cône, au sommet du dos d’âne, dans un lit qu’il s’est creusé, tandis qu’au moment des crues