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travail des apprentis, et qui à la quatrième année paient à l’établissement 1 franc par journée de travail de l’élève. Au Havre, c’est la municipalité qui a créé, qui entretient à ses frais le matériel de l’établissement et qui fournit les matières premières nécessaires à l’éducation des apprentis. Sous le bénéfice de cette combinaison, elle fait exécuter dans l’école certains ouvrages de serrurerie et de menuiserie pour les propriétés communales. D’autre part, grâce au zèle d’un comité de patronage composé d’administrateurs, d’architectes, d’entrepreneurs, les industriels font des commandes à l’école ; ils envoient les matières premières avec les croquis et les plans, et les travaux leur sont rendus confectionnés. Une comptabilité spéciale est tenue, et le produit des travaux est partagé aux élèves, classés par catégories de métier, défalcation faite d’une certaine quotité qui est réservée pour l’achat de l’outillage accordé comme récompense à ceux qui sortent. Un état de détail indique la proportion des prélèvemens qu’ont pu obtenir les élèves sur le produit de leur travail, réparti en trois catégories. Les plus habiles d’entre eux ont passé dans le cours de quatre années (1867 à 1870) de 40 fr. à 87 fr., les moins habiles de 9 fr. à 15 fr. ; une catégorie intermédiaire a oscillé entre 16 fr. et 42 fr. par tête d’élève. Les sommes totales à distribuer variaient de 1,031 francs 15 cent. à 3,265 fr. 45 cent., le nombre des élèves de 78 à 126, les sommes réservées pour l’outillage de 317 fr. 30 cent. à 1,088 fr. 95 cent. À ces encouragemens bien modestes, il convient d’ajouter la sollicitude du comité qui les suit dans leurs travaux et s’occupe de les placer à la fin de leur stage.

D’un coup d’œil, on peut saisir les avantages et les inconvéniens des deux modes. En remettant, comme à Saint-Nicolas, entre les mains des patrons la direction des travaux avec les profits qu’ils peuvent donner, l’administration municipale se décharge du soin de toute gestion et de toute responsabilité commerciales. Ni l’installation et le renouvellement des outils, ni l’achat des matières, ni la vente des produits ne la regardent plus. En même temps elle s’assure que le travail des élèves est dirigé par des hommes très capables et dont la surveillance a pour stimulant un intérêt que rien ne remplace, l’intérêt personnel. Le danger, c’est que, devenu dominant, l’intérêt des patrons ne tourne contre celui des apprentis, qu’en s’affranchissant de certains embarras on ne se prive de certains droits d’action, en un mot qu’en se substituant en partie au moins des hommes qui font acte de spéculation, on ne soit plus maître ni de leur conduite ni de leurs calculs. C’est cette considération qui a paru déterminante à l’auteur du projet. Il s’est dit qu’on n’aboutirait à rien de sérieux sans une grande unité et une forte concentration de pouvoirs. Un directeur au sommet, des maîtres et des con-