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LES ÉCOLES D’APPRENTIS.

la bourse d’apprentissage, on n’offrait plus à l’ambition des familles un appât suffisant. Enfin, après avoir mis trop haut le prix d’apprentissage, on dépréciait trop le caractère de la bourse : d’un prix d’honneur exalté outre mesure, on faisait le prix toujours un peu dédaigné de l’assiduité, ou, comme le disent entre eux les enfans qui ne se ménagent guère, de l’indigence. Aussi une sorte de discrédit a-t-il frappé dès le premier jour l’institution transformée. Plus on va, plus les candidats aux bourses d’apprentissage décroissent : ils manquent absolument dans la plupart des écoles de garçons, et dans les écoles de filles il faut descendre jusqu’aux rangs les plus médiocres pour trouver l’emploi de la libéralité municipale. C’est au point qu’il a fallu suppléer par d’autres encouragemens, le certificat d’études primaires entre autres, qui a merveilleusement réussi.

Au fond, il y avait dans tout cela un vice dont on ne s’est aperçu qu’un peu tard, et qui a porté aussi bien sur les prix que sur les bourses : c’étaient les conditions mêmes du contrat d’apprentissage auquel forcément bourses et prix viennent aboutir. L’esprit de règlement y est empreint de manière à en dégoûter les parties intéressées, parens et patrons ; il est onéreux aux uns et aux autres sans être avantageux pour l’enfant : beaucoup d’obligations et peu d’avantages manifestes. Sans doute la municipalité fait les frais de l’apprentissage, mais la famille est tenue de fournir, de renouveler un trousseau complet. Dans la maison paternelle, tout sert à l’enfant, pour peu que la mère sache s’y ingénier ; il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit d’équiper l’apprenti à distance. S’il s’agit de filles, il est en outre pénible pour une mère d’abandonner à d’autres mains le soin et la responsabilité de la tutelle ; l’internat, commun aux deux sexes et qui est de rigueur, affaiblit l’esprit de famille, blesse les parens honnêtes, s’il sert la discipline de l’atelier ; même avec les meilleures garanties, il enlève aux enfans leurs confidens les plus naturels, et les prive de leurs plus douces affections. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner que dans bien des cas des apprentissages gagnés au concours n’aient pas été réalisés.

Du côté des patrons, les répugnances n’étaient pas moins grandes. En les substituant par l’internat aux devoirs des parens, on leur impose une responsabilité d’autant plus lourde qu’ils en sentent mieux l’étendue. Admettre chez soi, à l’égal de ses propres enfans, un enfant qu’on ne choisit pas est toujours une charge dans l’exercice de laquelle on se réserve une certaine liberté de déterminations ; à plus forte raison y regarde-t-on quand il s’agit d’un marché conclu administrativement et surveillé par des tiers ; Et quel marché d’ailleurs ! Avec les 450 francs primitifs, à peine y avait-t-il de quoi loger, nourrir et élever l’apprenti pendant trois ans, c’était l’équi-