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Le roi cependant espérait encore éviter une rupture qui l’épouvantait. Napoléon avait fait miroiter devant ses yeux un nouvel appât. En annonçant à la cour de Berlin la création de la ligue du Rhin, Laforest dit à M. de Haugwitz : « Sa majesté prussienne peut réunir sous une nouvelle loi fédérative les états qui appartiennent encore à l’empire germanique et faire entrer la dignité impériale dans la maison de Brandebourg. Elle peut, si elle le préfère, former une fédération des états du nord de l’Allemagne qui se trouvent plus particulièrement placés dans sa sphère d’activité. » Il est assez intéressant de voir suggérer à la Prusse par Napoléon l’idée que M. de Bismarck devait réaliser plus tard à la suite de manœuvres diplomatiques qui perdent une partie de leur originalité pour qui étudie de près les événemens de 1806. Cette idée du reste n’était pas nouvelle ; dès le mois d’octobre 1805, Talleyrand écrivait à M. d’Hauterive : « Plus d’empereur d’Allemagne ; trois empereurs en Allemagne, — France, Autriche et Prusse. Plus de diète de Ratisbonne. » C’était la fameuse théorie des trois tronçons, avec cette différence que la France en aurait tenu un, tandis qu’au temps des métaphores politiques et des entités de M. Rouher ces tronçons, fort près de se joindre, se tournaient tous les trois contre nous.

La Prusse se mit en campagne ; une confédération du nord, l’empire peut-être, c’était enfin une compensation sérieuse et de quoi satisfaire les patriotes les plus exigeans. Il ne manquait que des confédérés. On s’adressa à la Saxe, à la Hesse : elles élevèrent d’inadmissibles exigences. Quant aux villes hanséatiques, Napoléon signifia qu’elles devaient rester indépendantes et isolées de toute confédération, « parce que, disait-il, l’Angleterre en faisait une condition de la paix. » Restaient peut-être les deux Mecklembourg. Cette fois, la déception dépassait la mesure. Comme il arrive toujours, la rumeur populaire grossit les choses. On affirma que Napoléon détournait la Saxe et la Hesse d’entrer dans la confédération, et machinait sous main pour empêcher la combinaison d’aboutir. La Hesse dénonça de prétendues intimidations dont elle aurait été l’objet. Le langage des officiers français campés en Allemagne, tout près de la frontière prussienne, devenait menaçant. Murat, qui se trouvait à l’étroit dans son grand-duché de Berg, annonçait qu’on lui découperait bientôt dans le territoire de la Prusse un royaume à sa taille. Bernadotte, établi à Anspach, racontait à tout venant ses plans d’invasion. Les états-majors parlaient de leur visite à Berlin ; Augereau buvait au succès de la prochaine guerre. Napoléon faisait fortifier et enclavait dans la 25e division militaire Wesel, que le roi de Prusse lui avait cédé dans la confiance motivée que cette forteresse demeurerait à l’Allemagne.