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qu’il attache à tout ce qui peut entretenir ou rétablir l’harmonie entre les grands états. Il saisit avec empressement l’occasion de maintenir la règle salutaire de la société européenne, à savoir de n’apporter aucun changement essentiel aux relations des peuples entre eux, sans l’examen et le consentement de toutes les grandes puissances, — pratique tutélaire, véritable garantie de paix et de civilisation, à laquelle trop de dérogations ont été apportées dans ces dernières années. » Ainsi les plus fières et les plus fermes paroles prononcées dans la conférence en faveur du respect des traités venaient encore de la France, qui, malgré ses malheurs et ses justes griefs contre des alliés infidèles, leur montrait jusqu’au bout une loyauté dont tous ne lui avaient pas donné l’exemple.

On connaît les stipulations du traité qui fut signé le lendemain. La Turquie resta maîtresse de la fermeture du Bosphore et des Dardanelles, qu’il était impossible de lui enlever sans porter atteinte à sa souveraineté même. La convention limitative des forces navales entretenues dans la Mer-Noire par les deux puissances riveraines fut absolument annulée. En retour, la Russie renonçait à la neutralité de cette mer, et l’on réservait à l’empire ottoman la faculté d’ouvrir les détroits, en temps de paix, aux bâtimens des puissances amies et alliées, dans le cas où il le jugerait nécessaire pour sa sûreté. Les intérêts les plus compromis par cet arrangement nouveau n’étaient pas ceux de la Turquie, toujours libre d’appeler ses alliés à son secours ; c’étaient ceux de l’Angleterre, obligée désormais de surveiller avec soin les armemens de la Russie dans la Mer-Noire et de déployer en Orient des forces menaçantes, pour y maintenir une paix si commodément garantie naguère par les dispositions du traité de Paris.

Ainsi se termine l’histoire peu glorieuse, mais très instructive, de la neutralité anglaise. En résumé, l’extrême prudence du cabinet de Londres ne lui a valu que des humiliations. Pour comble d’amertume, il a vu dans les derniers jours de la guerre un petit état mis sous la protection de la garantie anglaise, le Luxembourg, grossièrement insulté et menacé par la Prusse sans que lui-même osât souffler mot. Quand il a daigné se souvenir de l’alliance française, il n’était plus temps d’arrêter le mal. Ce rapprochement in extremis ne pouvait plus servir qu’à lui montrer toute l’étendue de ses fautes.


V

L’Angleterre saura-t-elle au moins profiter d’une aussi rude leçon ? Reviendra-t-elle à la politique qu’elle n’aurait jamais dû