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France ; mais que pouvait l’Autriche sans l’Angleterre ? Fidèle à sa réserve accoutumée, le cabinet de Londres ne voulait encore une fois que nous aboucher avec notre vainqueur, c’est-à-dire nous livrer sans défense à son bon plaisir. Dès que M. Thiers eut obtenu par son entremise les sauf-conduits nécessaires, l’Angleterre se retira discrètement de la scène. C’est dans le plus rigoureux tête-à-tête que la France et l’Allemagne procédèrent à ces négociations si tristement infructueuses qui ne servirent qu’à démontrer une fois de plus l’impossibilité d’un arrangement équitable sans le secours d’une médiation étrangère.


IV

Après la rupture des conférences de Versailles, il ne semblait plus y avoir aucune chance de paix. L’Angleterre n’ayant pas voulu nous aider quand sur ses propres conseils nous demandions un armistice à l’Allemagne, il n’y avait aucune apparence qu’elle se décidât à nous soutenir une autre fois. Notre diplomatie, sans ralentir ses efforts, commençait à perdre courage, lorsqu’un incident imprévu vint tout à coup relever nos espérances et secouer l’apathie de l’Angleterre en la blessant dans ses intérêts les plus chers. Ce fut la Russie qui nous prêta ce secours. Depuis longtemps, le cabinet de Tours songeait à tirer parti de la rivalité de ces deux puissances. Il cherchait à exciter entre elles une sorte de point d’honneur à notre profit. La Russie avait toujours espéré qu’elle pourrait mêler à la discussion de la paix franco-allemande la question de la révision du traité de 1856, et obtenir des concessions sur ce point en retour de la protection qu’elle accorderait à la France. Aussi avait-elle favorisé l’entrevue de Versailles, comme tout ce qui pouvait lui fournir l’occasion de jouer le rôle auquel elle aspirait. Dès le 1er novembre, ses résolutions, mûrement arrêtées, venaient d’être libellées dans une communication adressée, à la date de la veille, aux cours signataires du traité de Paris. Elle attendait pour s’en servir le résultat des conférences. On dit même que le tsar Alexandre avait écrit encore une fois au roi Guillaume une de ces lettres personnelles dont il était prodigue, et dans laquelle il avait recommandé la modération à son royal oncle, comme il la recommandait d’autre part à la France. C’est peut-être à cette gracieuse intervention qu’il faut attribuer la grande politesse et l’esprit de conciliation montrés par M. de Bismarck au début de la conférence, alors qu’il semblait faire espérer à M. Thiers un accord qu’il devait refuser peu de jours plus tard.

Lorsqu’on apprit à Pétersbourg que les conférences étaient