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l’occasion de nos désastres pour se faire rouvrir la route du Levant, — lié d’ailleurs à la Prusse par des engagemens verbaux ou écrits, mais formels, et au fond uniquement préoccupé d’obtenir la révision des traités de 1856 sur la neutralisation de la Mer-Noire. L’empereur Alexandre était disposé à renouveler auprès de son oncle, le roi Guillaume, les démarches toutes privées qu’il avait déjà faites à l’instigation du général Fleury, soit pour l’engager à nous accorder un armistice, soit pour lui exprimer l’espoir qu’il ne demanderait pas d’annexions de territoire français, sauf à y renoncer, si le roi répondait « qu’il ne pouvait se soustraire au désir unanime de l’Allemagne. » Le prince Gortchakof entendait bien se borner à ces démarches isolées et repoussait toute intervention collective des puissances neutres, de crainte qu’elle ne prît « un caractère comminatoire[1]. » D’une part, il assurait à M. Thiers que certaines conditions de paix ne seraient pas regardées par lui comme admissibles, et ne recevraient pas la sanction de la Russie ; d’autre part, il disait à l’Angleterre, dont il connaissait les penchans, qu’il était malheureusement fort à craindre que la France ne restât sourde à ses conseils de modération[2]. Le seul résultat positif des efforts de M. Thiers fut que le prince Gortchakof lui offrit de demander au gouvernement prussien un sauf-conduit pour lui permettre d’entrer dans Paris, afin d’y prendre les pouvoirs et les instructions nécessaires pour négocier.

A Vienne, notre ambassadeur trouva plus de franchise, un intérêt plus sincère, une bienveillance qui n’avait rien de suspect, mais une impuissance malheureusement trop bien démontrée. Dès le début de la guerre, le comte de Beust avait fait connaître au gouvernement français la situation dépendante où les menaces de la Russie mettaient le cabinet de Vienne, et lui avait avoué son incapacité d’intervenir. Néanmoins il avait combattu dans toutes les cours d’Europe la politique dérisoire des démarches isolées, prônées par la Russie et par l’Angleterre ; il saisissait toutes les occasions pour suggérer à ces deux grandes puissances l’idée d’une médiation collective et la leur présenter comme un devoir. « Ce n’est pas seulement, écrivait-il, à mitiger les exigences du vainqueur que devraient tendre les efforts combinés des puissances ; c’est encore à adoucir l’amertume des sentimens qui doivent accabler le vaincu… Les conditions qu’on dictera à la France, si dures qu’elles puissent être, seraient bien plus facilement consenties, si elles lui étaient recommandées par la voix unanime des puissances impartiales, que

  1. Sir A. Buchanan à lord Granvîlle, 17 septembre 1870.
  2. Ibid.