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pouvait raisonnablement subordonner la reconnaissance du gouvernement à la réunion d’une assemblée, lorsqu’en même temps on l’engageait à traiter directement des conditions de la paix, sans consulter ni l’avis de l’Europe ni la volonté de la France. Ces faux-fuyans, ces réponses contradictoires, annonçaient un parti-pris de ne rien entendre et une résolution bien arrêtée de ne pas se compromettre, sinon même un secret désir de jouer contre nous le jeu de la Prusse.

Arrivés à ce point, les pourparlers devenaient inutiles ; ils ne pouvaient plus servir qu’à provoquer des récriminations fâcheuses. Avant de quitter Londres, M. Thiers fit demander à lord Granville un dernier entretien. « Après des aperçus philosophiques, historiques et éloquens, dit son noble interlocuteur avec une nuance d’ironie mêlée d’aigreur, il aborda le sujet de ma position devant la chambre des communes d’Angleterre, jalouses de l’honneur du pays, et il me demanda sous diverses formes si, dans le cas où la Russie prendrait l’initiative d’adresser à l’Allemagne des remontrances amicales en faveur de la France, le gouvernement britannique ne se plaindrait pas d’être laissé en arrière. » C’était toucher le seul endroit sensible de la politique anglaise, et le dépit mal déguisé du ministre montra que le coup avait porté. Il répliqua qu’il suivrait une politique approuvée par la chambre des communes, que d’ailleurs il ne lui convenait pas de discuter sur des hypothèses, mais que, « désireux comme il l’était d’agir de concert avec les puissances neutres, il ne serait pas jaloux, si l’une d’elles voulait entreprendre une action pacifique[1]. » Il ajouta qu’il se réservait pour l’avenir une entière liberté d’action. On se sépara sur ces froides paroles. M. Thiers, en revenant à Tours, rendit compte de sa mission à la délégation du gouvernement. « Tout ce que j’ai pu obtenir, dit-il, du gouvernement anglais, c’est qu’à l’avenir il ne contrariera plus autant la bonne volonté de son ambassadeur[2]. » Il aurait pu ajouter que, dans sa dernière entrevue avec lord Granville, il avait jeté dans son esprit le germe d’une inquiétude dont il espérait se servir plus tard ; mais en fait de résultats immédiats il ne rapportait de sa mission que quelques mots polis pour MM. Favre et Trochu, avec la certitude absolue que l’Angleterre ne ferait rien de sérieux pour la France.

Les événemens qui suivent ne sont que le développement fidèle du programme que nous venons de voir se révéler par la bouche même de lord Granville. Les démarches du gouvernement français,

  1. Lord Granville à lord Lyons, 17 septembre 1870.
  2. Histoire de la diplomatie du gouvernement de la défense nationale, par M. J. Valfrey.