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armistice acceptable, ou bien simple reconnaissance du gouvernement nouveau. Le cabinet de Londres leur répondit d’une manière toujours évasive, souvent hautaine, parfois blessante, et tout ce qu’il consentit jamais à leur accorder, ce fut de les aboucher personnellement avec M. de Bismarck, sans d’ailleurs vouloir connaître les propositions qui nous seraient faites, ni se mêler lui-même aux négociations.

C’est à Londres, au mois de septembre, lors de la mission de M. Thiers, qu’apparurent avec évidence ces étranges dispositions du cabinet anglais. Tout le monde a lu le récit que notre illustre négociateur nous a fait de ses conversations avec le chef du foteign office[1]. C’était le moment où M. Jules Favre essayait d’obtenir un armistice, et venait d’invoquer le secours de l’Angleterre pour engager avec M. de Bismarck les pourparlers qui devaient aboutir à l’entrevue de Ferrières. Le cabinet de Londres avait montré quelque empressement à nous accorder ses bons offices, Son ambassadeur à Paris, dont la bienveillance personnelle ne s’est jamais démentie, s’employait à faciliter l’entrevue demandée par le ministère français, et il avait même envoyé un de ses secrétaires au quartier-général prussien pour hâter la négociation. On pouvait espérer que ces légers indices de bienveillance annonçaient de la part de l’Angleterre, un secours plus efficace.

Aussi M. Thiers, en abordant lord Granville, fit-il aussitôt un appel hardi à l’ancienne amitié des deux nations. Il essaya, dès les premiers mots, d’entraîner l’Angleterre à nous prêter un concours actif[2] : il vit d’un coup d’œil qu’il ne fallait pas insister davantage. Alors du moins il invoqua avec énergie une médiation prompte et décisive, faisant valoir l’intérêt évident de la nation anglaise à empêcher la ruine de la France. « Ce ne saurait être, dit-il, l’intérêt de ce pays d’abdiquer sa position de grande puissance. Bien qu’étant une île, une puissance maritime, il fait partie de l’Europe. Dans d’autres temps, il a montré l’intérêt qu’il attache à l’équilibre des puissances. Il ne peut pas désirer voir la France, son alliée de quarante ans, qui a combattu à ses côtés en Crimée, qui dans des temps difficiles comme la mutinerie des Indes, n’a tiré aucun avantage de ses embarras, — il ne peut désirer voir la France humiliée et affaiblie. Il n’est pas de l’intérêt de l’Angleterre qu’une paix déshonorante vienne laisser la France faible et irritable, incapable

  1. Ce récit a été publié par M. Jules Favre dans le premier volume de son Histoire de la défense nationale. M. Thiers, avec sa bienséance habituelle, y ménage beaucoup le cabinet anglais. Le récit fait par lord Granville dans ses dépêches à lord Lyons est à la fois plus significatif et plus dur pour la France.
  2. Histoire de la diplomatie du gouvernement de la défense nationale, par M. J. Valfrey.