Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bout à l’autre de la guerre, restant la spectatrice insensible de nos malheurs et se refusant avec obstination à nous accorder aucun secours sérieux.

Cette politique porte déjà ses fruits. En laissant écraser la France, l’Angleterre a compromis sa sauvegarde. C’est en vain qu’elle essaie de se faire illusion en se persuadant qu’elle n’a rien à craindre du nouvel empire germanique, et que sa position insulaire lui permet de regarder avec une philosophique indifférence les guerres et les conquêtes de ses voisins du continent. L’empire, au lendemain de Sadowa, voulait aussi se désintéresser des événemens d’Allemagne et tâchait de s’en consoler en faisant bon visage au vainqueur. L’Angleterre a commis à notre égard la faute que nous commettions nous-mêmes envers la malheureuse Autriche, quand nous la livrions de gaité de cœur aux coups de la Prusse et de l’Italie. Elle a fait bien pis encore, si l’on considère qu’elle était depuis vingt ans notre alliée, que notre sang avait coulé pour elle, et que notre signature était auprès de la sienne sur tous les traités qu’elle avait conclus. La vérité, c’est qu’elle a été vaincue avec nous, mais vaincue sans combat, c’est-à-dire sans souffrance et sans honneur.

La France est donc assez vengée de l’égoïsme anglais, si tant est qu’elle ait besoin d’une vengeance. Malgré les torts de notre ancienne alliée, nous ne saurions nous réjouir de lui voir partager nos épreuves ; mais c’est maintenant une question de savoir si son alliance est encore utile, si même elle est encore possible. Dans tous les cas, les derniers événemens délient notre pays de tout devoir de fidélité envers l’Angleterre. Ses malheurs lui ont imposé le rigoureux devoir de ne plus consulter, dans sa politique extérieure, que le seul intérêt national.


I

Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’Europe moderne pour s’apercevoir qu’il y règne deux grands antagonismes pouvant servir tour à, tour soit à y maintenir l’équilibre, soit à y porter la confusion. Le premier, dont l’origine est ancienne et qui semblait assoupi depuis bien des années, vient de se réveiller avec une violence inattendue ; il a des causes assez visibles et en quelque sorte assez actuelles pour qu’il soit superflu d’y insister : c’est l’antagonisme de la France et de l’Allemagne. L’autre rivalité est celle de l’Angleterre et de la Russie, adversaires plus éloignés l’un de l’autre, mais non moins irréconciliables, car ils se disputent la domination de l’Orient. C’est moins d’ailleurs comme puissances européennes que comme puissances asiatiques que l’Angleterre et la Russie sont