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paient est un indice de cette manière aussi violente qu’étroite d’envisager la question, et les applications pratiques ne concordent que trop avec cette pensée générale. On ne songe qu’à remplir le trésor public sans nul souci de ce que nous appelons justice, proportionnalité, humanité. Aussi le contribuable ne voit-il dans le fisc qu’un instrument d’opposition, et ne se fait-il point de scrupules de tromper un ennemi qui en apporte lui-même si peu dans ses avides et intraitables exigences.

On trouve réunis dans ce travail bien des témoignages de l’action de l’impôt sur les différentes classes. Parmi tant d’autres taxes abusives, l’impôt foncier joue le premier rôle. A une oppression tyrannique, l’art se mêle sous la forme de ces opérations cadastrales, dont l’Égypte et les grandes monarchies de l’Orient avaient déjà donné l’exemple, tant on aurait tort d’y voir une invention toute moderne ! C’est un véritable chef-d’œuvre en ce genre d’exaction. L’arbitraire même y repose sur une base régulière, et les historiens ont fait connaître tout ce qu’eut à souffrir cette classe sacrifiée des propriétaires, cette classe des curiales, toujours sous la menace de voir leurs biens saisis et vendus, et soumis eux-mêmes à des interdictions d’aller et de venir, de vendre et d’acheter, telles qu’aucun despotisme moderne n’en saurait donner l’idée. Il semble qu’il n’y ait guère eu pour ces hommes d’autre destinée que de servir au fisc de garantie. La situation faite par l’impôt à l’industrie et au commerce était bien moins écrasante, quoique souvent fort dure aussi. Au surplus, à l’exception d’un certain nombre de privilégiés, toutes les classes avaient leur part plus ou moins lourde du fardeau, et il suffit de rappeler, en supprimant tous les détails, le chrysargyre et les portoria atteignant le commerce, les octrois frappant la consommation, l’impôt du vingtième mis sur les actes civils, comme les successions et les affranchissemens, la capitation établie sur l’individu, les taxes spéciales placées sur les dignités honorifiques, comme l’impôt des consuls, des préteurs, des duumvirs, des sacerdotes, et celles qu’avaient à supporter quelquefois les privilèges, comme la glèbe sénatoriale, l’aurum oblatitium, l’oblatio votorum, sans parler des mines et de divers monopoles, des manufactures qui fabriquaient au compte de l’état, par exemple de ces gynécées où des mains industrieuses étaient incessamment occupées à travailler les riches étoffes et les matières précieuses.

Ce qui ressort parfaitement de cette nouvelle étude, c’est que le service personnel et l’impôt en nature formaient les traits les plus saillans de ce système financier. Ces traits devaient se perpétuer au moyen âge. Rien n’était plus propre à simplifier la tâche de l’état, dispensé d’évaluer en argent les prestations en nature, de passer des marchés avec des entrepreneurs, de reconnaître leurs fournitures ou leurs travaux, d’en fixer le montant, d’en ordonner le paiement. En revanche, rien de plus contraire à la liberté individuelle, à une répartition un peu équitable et à la fortune publique. Le système des prestations en nature était un gaspillage