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En attendant que nous ayons cette suite naturelle d’un travail qui est digne de fixer l’attention du public français, ceux qui voudraient mesurer le chemin parcouru et se rendre compte du régime et de l’état actuel de l’Autriche-Hongrie trouveront dans l’ouvrage de M. Daniel Lévy, sinon des tableaux colorés et un style brillant, tout au moins des détails exacts et précis, beaucoup de faits classés avec ordre. L’auteur a vécu à Vienne et à Pesth vers le temps où entrait en jeu pour la première fois le mécanisme si compliqué des institutions de l’empire, tel qu’il a été constitué par M. de Beust sous la forme du dualisme. Il résume l’histoire de l’Autriche depuis le moment où la maison de Habsbourg prend de l’importance en Europe, et son récit devient plus détaillé et plus ample à mesure qu’il approche du moment actuel ; il montre comment le compromis austro-hongrois a été imposé aux hommes d’état chargés des destinées de l’Autriche par l’attitude ferme et inflexible de la Hongrie, par les hautes qualités politiques de chefs qui l’empêchaient de se compromettre dans l’émeute sans lui laisser sacrifier le moindre de ses droits. Que durera ce compromis et combien de temps pourra fonctionner le système des délégations ? C’est le secret de l’avenir. Ce qui est certain, c’est que les libertés de la Hongrie, libertés dont la reconnaissance a coïncidé avec un développement admirable de la prospérité matérielle du pays, paraissent maintenant au-dessus de toute atteinte. Quel que soit le sort du lien qui rattache le royaume de saint Étienne à la Cisleithanie, le despotisme ne cherchera même plus à menacer ces franchises si longtemps contestées ; où prendrait-il maintenant son point d’appui et sa base d’opérations ? On est aussi libre aujourd’hui à Vienne qu’à Pesth et à Presbourg. Le grand problème qui se pose maintenant devant les hommes d’état hongrois, c’est de faire vivre ensemble les différentes races qui se partagent le royaume de saint Étienne. Ils voudraient bien maintenir la suprématie des Magyars, et leurs prétentions sont fondées jusqu’à un certain point : ce sont les Magyars qui ont le plus vaillamment lutté jadis contre les Turcs pour arrêter sur le Danube la barbarie musulmane, eux encore qui, cet ennemi vaincu au XVIIe siècle, ont le plus obstinément résisté au despotisme de la cour et de la bureaucratie autrichienne et sauvé le dépôt des libertés traditionnelles et des droits antiques. Aujourd’hui qu’ils ont triomphé du germanisme et des Habsbourg, que la chancellerie aulique a capitulé devant eux et que le premier ministre du cabinet hongrois est leur vrai souverain, qu’ils n’aillent pas, comme en 48, se faire oppresseurs à leur tour ; qu’ils ne fournissent pas contre eux de prétextes soit à l’Allemagne, soit au panslavisme !

Ce qu’a d’original le génie magyar, on pourra le deviner en étudiant le recueil des poésies de Pétœfi, traduites par MM. Desbordes-Valmore et Ch. E. Ujfalvy. Pétœfi n’est pas inconnu des lecteurs de la Revue[1] ;

  1. Voyez un article de M. Saint-René Taillandier dans la Revue du 15 avril 1860.