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France un empire du milieu, dont dépend et auquel se rapporte tout le reste du monde. C’est surtout depuis la révolution française, mot que nous ne prononçons jamais sans enfler la voix, que nous sommes les dupes de cette illusion. Presque tous ceux qui ont tenté d’écrire l’histoire des guerres et des convulsions que l’Europe a traversées depuis la fin du siècle dernier ont glissé sur cette pente ; leur prétention plus ou moins avouée ou leur tendance plus ou moins naïve a été d’enfermer dans l’histoire de France toute l’histoire de l’Europe. Ignorant les langues étrangères, ne connaissant pas ou connaissant mal les livres publiés en anglais ou en allemand, ils ont été inexacts ou incomplets dans la peinture des idées et des sentimens auxquels obéirent, dans de grandes crises, les peuples dont la France souleva les passions et, qui finirent par l’écraser sous leur masse. Il a fallu, pour que nous comprenions le mouvement de 1813 en Allemagne, que le colonel Charras, averti par sa haine pour le second empire des colères que le premier avait pu inspirer, mît à profit les loisirs de l’exil pour apprendre l’allemand et pour étudier toute une littérature d’ouvrages politiques et militaires qu’avaient à peine jusqu’ici soupçonnée nos écrivains.

M. Sayous est de ceux qui ont compris les dangers de cette infatuation et de cette ignorance, et qui travaillent à élargir nos horizons. Depuis plusieurs années, il s’était mis à étudier la langue et la littérature hongroise ; il a fait plusieurs voyages dans le pays pour s’y créer des relations, pour s’accoutumer à en parler l’idiome. Il a vécu au milieu des Magyars, suivi de près les débats de leurs comitats et de leurs chambres législatives, assisté à leurs fêtes et à leurs réunions, saisi sur le vif les traits de leur étrange et original génie, traits qu’il résume lui-même dans ces lignes, qui méritent d’être citées : « Un peuple tartare, qui a pris rang dans l’Europe civilisée pour la sauver plusieurs fois de la barbarie, un peuple fier qui est capable de la soumission la plus touchante aux rois dans le malheur comme de la résistance la plus indomptable aux rois puissans et victorieux, un peuple orgueilleux de sa race jusqu’à la superstition, et qui doit la beauté de son type et la trempe énergique de son âme à d’heureux mélanges avec des nations dédaignées, un peuple ardent et mobile, qui comprend à merveille le difficile et patient régime parlementaire, un peuple de furieux cavaliers et d’intraitables légistes : telle est, avec ses grandeurs, ses défauts et surtout ses contrastes, la nation magyare. »

Aucune histoire, ajoute avec. raison M. Sayous, n’est demeurée plus inconnue. Pour le moment, il se borne à nous offrir un épisode de ces annales, « le récit, au point de vue hongrois, des vingt-cinq années les plus dramatiques de l’histoire, celles de la révolution française et de l’empire. » En dehors de l’intérêt que présentent certains incidens de ce récit, qui frappent vivement l’imagination, et certaines figures d’un relief saisissant, comme. celle de Paul Nagy, un précurseur de François Deak, il est