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notre école contemporaine, les tableaux peints par M. Bertin paraîtront peut-être l’expression d’un art un peu solennel ; peut-être les eût-on jugés au contraire d’un caractère trop simple ou trop familier à l’époque où régnaient les représentant officiels du paysage dit « héroïque. » Qu’importe après tout ? Si, en raison de son indépendance même, M. Bertin court le risque d’être désavoué par les disciples de l’idéalisme à outrance aussi bien que par ceux qui se proclament aujourd’hui « réalistes, » si ses doctrines, trop austères pour les uns, trop peu académiques au gré des autres, ne permettent de le rattacher à aucune des sectes ayant un nom et une étiquette, la place tout à part qu’il mérite n’en saurait être moins honorable pour cela, et les juges désintéressés l’y maintiendront. Qui sait même ? comme Didier Boguet, comme Chauvin, comme d’autres paysagistes presque ignorés de leur vivant, et maintenant en sérieux crédit auprès des connaisseurs et des artistes, peut-être M. Bertin occupera-t-il à l’avenir un rang dont seront dépossédés quelques-uns de ses plus célèbres contemporains ; peut-être ses œuvres, dérobées hier encore aux regards de la foule, sont-elles destinées à figurer en meilleur lieu et à inspirer une estime plus durable que les œuvres de tels talens populaires à l’heure où nous sommes. Dans l’histoire des arts aussi bien que dans l’histoire des lettres, rien de moins rare que de pareils reviremens. Sans remonter au-delà des premières années, du siècle, il serait facile d’en citer des exemples bien faits pour nous donner à réfléchir.

Si donc les travaux de M. Bertin doivent échapper à l’oubli dans lequel nos successeurs relégueront sans scrupule plus d’un nom ou d’un talent aujourd’hui tout autrement en vue, c’est principalement sur les dessins de l’artiste qu’il faut compter pour que cette justice lui soit rendue. Que l’on suppose dès à présent quelques-uns de ces dessins exposés dans les collections publiques à côté des œuvres du même genre qu’ont laissées les maîtres, pense-t-on que ceux qui les verront à cette place s’étonneront beaucoup du rapprochement ? Ne semble-t-il pas au contraire qu’en tenant compte ingénument de leur valeur ils les accepteront au même titre que les témoignages d’un art plus ancien ? Nous ne voudrions pas exagérer le prix des productions dues au crayon de M. Bertin et exhausser l’habileté dont il a fait preuve, si rare qu’elle soit, au niveau de cette puissance souveraine qu’attestent les incomparables croquis d’un Claude Gellée ou d’un Poussin. Ce que nous prétendons indiquer seulement, c’est la parenté qui existe entre l’intelligence du dessinateur moderne et les inspirations de ses plus nobles devanciers ; c’est, toute proportion gardée quant aux résultats, la similitude des inclinations naturelles, des principes admis, des entreprises tentées. Bien qu’il ait, au début de sa carrière, fréquenté l’atelier de Girodet et plus tard celui de Bidault, M. Bertin est en réalité un disciple des grands paysagistes français du XVIIe siècle, ou plutôt c’est en se