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futilités déplorables certain travail latent, sérieux et viril, qui s’accomplit sans bruit et domine les âmes pour ainsi dire à leur insu. Je ne crains pas d’affirmer que sans un certain concours de circonstances regrettables, véritables malentendus qui ont comprimé l’élan de bien des cœurs, un mouvement religieux considérable se serait manifesté à la suite de nos désastres. Déjà ne constatez-vous pas chez certains incrédules une sorte d’hésitation et plus de tolérance ? Ils semblent tenus en respect par je ne sais quel sentiment devenu presque général, par cette conviction que Dieu seul désormais nous peut tirer du chaos où nous sommes, qu’un tel labeur exige l’ouvrier tout-puissant. Sans se traduire encore en ferventes prières, que de regards commencent à se tourner vers lui, qui jusque-là ne l’avaient jamais cherché ! C’est un premier symptôme dont il est bon de tenir compte. Et d’un autre côté la raison, cette autre sauvegarde, cet auxiliaire de la foi quand la sottise humaine ne se met pas à la traverse, la raison, si affolée qu’elle semble au milieu de nos divisions, dans cette confusion d’idées, de préjugés, de rêves, de problèmes qui s’entre-croisent de tous côtés, la raison fait aussi certaines évolutions secrètes qui tout à coup peuvent un jour nous rendre ce bon sens public qui nous fait aujourd’hui défaut. Qu’un vrai danger, visible à tous, vienne à percer comme un éclair ces passagères nuées, et vous verrez renaître comme il y a quinze mois, j’en ai la confiance, l’esprit de transaction, ce souverain remède qui dans toutes nos crises nous a toujours sauvés. Il reviendra, soyez-en sûr : nul ne saurait prévoir sous quelle forme, à quelles conditions, encore moins sous quels traits ; mais, on peut en répondre, il reviendra.

Voilà pourquoi nous demandons à nos enfans, surtout à leurs pères, de lire, de méditer cette histoire, ce répertoire fidèle de la vie de nos aïeux. Qu’est-ce en effet que ces quinze siècles de laborieuse création, sinon la preuve chaque jour répétée qu’il n’y a pour un peuple ni progrès, ni salut, sans cette intelligence des transactions nécessaires qui s’accommode aux faits sans violer les principes, sans en outrer non plus les exigences et la portée ? Cet esprit tempéré, judicieux, politique, seul efficace et seul puissant, chaque fois qu’il triomphe dans notre histoire, nous avançons, chaque fois qu’il succombe, comme étouffé par la violence et la passion, nous reculons. Sachons donc lire dans ce livre, sachons nous inspirer au parfum de libéralisme et de modération qui s’en exhale si franchement, et demandons comme singulière faveur qu’il s’achève, que le monument s’élève et se couronne jusqu’au sommet. Ce n’est pas un signe à dédaigner, parmi toutes nos raisons d’espérer de meilleures et longues destinées pour notre malheureuse France, que de voir une telle œuvre, entreprise à un tel âge, se poursuivre avec un tel bonheur, et léguer aux générations qui nous suivent de telles leçons et un si noble exemple.


L. VITET.