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perce au loin, et qui nettement vous signale tout ce qui s’étend à l’horizon.

De ce spectacle si bien compris, si bien étudié, un grand enseignement ressort.

D’abord il est évident que la France ne s’est formée, n’a joué dans le monde un rôle considérable, et ne s’est par momens mise à la tête des nations qu’en ne s’obstinant pas à poursuivre son but toujours par les mêmes moyens. L’infinie variété des formes d’une même idée, voilà le résumé philosophique de l’histoire de la France. Les hommes qui ont été tour à tour les instrumens de la Providence dans l’établissement de notre nationalité, et par là je ne désigne pas les souverains seulement, je par le de tous ceux qui, à un titre quelconque, ont exercé sur le pays une influence prépondérante, ces hommes se sont constamment appliqués à mettre leur entreprise en harmonie avec les changemens, les nouveautés inévitables survenues dans la société. Ne parlons même pas d’Hugues Capet, lequel évidemment, si jamais il n’eût voulu faire que ce que ses pères avaient fait, s’il se fût constitué le gardien immobile des traditions de sa race, serait mort simple vassal et non pas chef de dynastie ; ne parlons que de ses descendans, une fois l’usurpation commise et le fossé franchi, la tradition une fois commencée, n’est-il pas évident que soit par eux-mêmes, soit par leurs mandataires, leurs lieutenans, leurs ministres, ils deviennent les novateurs les plus intelligens et les plus avisés, les plus prompts à faire bon accueil aux changemens que la marche du temps rend successivement nécessaires ? C’est par là qu’ils grandissent et poussent des racines. De là cette croissance continue qui peu à peu transforme le plus modeste des domaines en une puissante royauté. La destruction patiente et progressive du régime féodal, la réédification du principe de gouvernement, la participation aux progrès des communes, à l’affranchissement d’une partie notable de la nation, ce grand labeur, cette incessante tâche de la monarchie française dans ses trois premiers siècles, n’est-ce pas, au sens moderne du mot, l’œuvre la plus libérale qui se puisse imaginer, c’est-à-dire la plus émancipatrice et la plus juste, la plus conforme à la notion du droit ; de même que la lutte acharnée, la lutte séculaire contre l’invasion anglaise et plus tard contre les agressions espagnoles et allemandes est l’œuvre la plus vraiment nationale et patriotique dont un peuple se puisse enorgueillir ? Voilà dans quel esprit et de quel point de vue il faut aborder nos annales. C’est le moyen d’être équitable envers ce passé que tant de gens dédaignent ou calomnient, faute d’en rien savoir, tandis que d’autres l’exaltent sans mesure et le portent aux nues, avec même ignorance, uniquement pour faire fi du présent.

Le présent a sans doute de grandes infirmités ; mais le passé avait les siennes, et un des bienfaits de l’histoire est de nous enseigner que ces