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ou sans inscrire, comme certain programme universitaire de date encore récente, parmi les grands bienfaits du XIXe siècle la création du Crédit mobilier, il est bien difficile dans ces sortes d’ouvrages, sous ce petit format, en face de ces générations naissantes et malléables, d’échapper tout à fait à l’esprit de parti et de ne pas transformer l’histoire en instrument de propagande.

Or c’est la mort d’un tel enseignement. Que les histoires de France en quinze ou vingt volumes soient plus ou moins empreintes d’esprit systématique, que les auteurs en les écrivant aient obéi soit aux bizarreries de leur propre nature, soit aux désirs, aux exigences, aux préventions de leur parti, c’est un malheur sans doute, mieux vaudrait que ces grands ouvrages, produits d’un long travail, parfois pleins de talent, ne répandissent par le monde que de saines idées ; mais les esprits qui entreprennent des lectures aussi longues ont tout au moins l’âge de raison, ils peuvent se défendre, la contagion pour eux n’est qu’à demi redoutable, tandis que les manuels, les abrégés, tous ces produits de librairie qui s’adressent à l’enfance confiante et désarmée, ce n’est pas impunément que les systèmes s’en emparent. Ils y font des ravages qu’on ne peut calculer. Ils sèment, ils enracinent dans les jeunes intelligences des germes indestructibles de préjugés, de haines et de révolutions. La fausse interprétation du passé est à l’heure où nous sommes le plus dangereux des poisons. Donnez-moi des idées justes sur l’histoire de France, répandez-les à profusion, que le pays s’en pourrisse et s’en pénètre, ce pays si facile à duper, si difficile à gouverner, et je vous promets qu’avant peu il verra juste en politique. Notre histoire bien comprise est la clé de tous nos problèmes, le principe régénérateur de tout ordre et de tout progrès.

Ce serait donc un bienfait absolument nouveau, une influence inconnue, une lumière réparatrice, qu’une histoire de France affranchie de tout parti-pris, de toute idée systématique, aussi sincère que savante, image exacte des faits et laissant voir sous cette image les notions générales que les faits représentent, claire, attachante, méthodique, concise et néanmoins vivante et colorée. Cette histoire, ou plutôt cette utopie, ce rêve, y avait-il quelque chance de la voir mettre au jour ? Il y fallait de telles conditions ! D’abord un historien, un historien de premier ordre, esprit supérieur, versé de longue main aux détails des faits, à l’étude approfondie des sources, et s’étant élevé par l’expérience d’une longue vie et des grandes affaires à ne plus voir les choses que de haut et à les juger sans passion. Quel espoir qu’un tel homme se pût assujettir à composer une œuvre en quelque sorte élémentaire ? A moins qu’un tendre sentiment, un dévoûment tout paternel ne lui en fît un plaisir, pouvait-il prendre un pareil soin ?

Le bonheur a voulu qu’il en pût être ainsi ; que le cœur du