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l’industrie privée une institution qui prospère entre ses mains ? Le gouvernement ne doit agir que dans le cas où l’action des particuliers est insuffisante ; il est déjà surchargé de trop de soins ; c’est une bonne fortune pour lui, pour le pays, lorsque l’intelligence, le dévoûment, les sacrifices de simples citoyens, le dispensent d’intervenir directement dans les œuvres d’utilité publique. Au lieu d’absorber l’École centrale, il doit au contraire désirer qu’elle demeure telle qu’elle est, comme un signe de la puissance individuelle, comme un exemple. Il vaut mieux qu’il réserve son patronage pour les institutions utiles vers lesquelles ne se porte pas l’initiative privée, et dans cet ordre d’idées il lui reste encore tant à faire ! — Cet avis était le plus juste hommage que l’on pût rendre aux fondateurs de l’École centrale ; mais ceux-ci répliquèrent avec raison que cette doctrine libérale ne les rassurait pas sur l’avenir de l’établissement dont ils voulaient doter le pays. Insistant sur sa proposition, le conseil de l’école fut obligé d’expliquer comment le succès devait être attribué à un concours de circonstances, surtout de personnes, dont la pratique de l’association offre bien peu d’exemples. L’École centrale avait été fondée par des hommes entre lesquels il n’avait jamais existé aucune convention, pas même une convention verbale. Chacun d’eux, directeur, professeurs, avait collaboré à l’œuvre commune, sans autre lien que celui de l’intelligence, sans autre partage que celui de la peine, sans autre pensée que celle d’être utile. La mort avait commencé à faire des vides dans ce groupe d’hommes dévoués, et lorsque l’union intellectuelle aurait été forcément dissoute,. quel serait le sort d’une institution qui reposait uniquement sur un contrat scientifique, non écrit, dont le code, plus impitoyable encore que la mort, viendrait détruire les clauses ? Au surplus, quand il s’agit de grandes créations d’enseignement, le rôle individuel, qui est prépondérant et décisif au début, doit s’effacer un jour ou l’autre devant le rôle de l’état ou de la municipalité, c’est-à-dire de la puissance collective. Voici en quels termes s’exprimait à cet égard l’honorable directeur de l’école. « Si l’on remontait aux premiers temps de nos écoles spéciales, on verrait que presque toujours ce furent des hommes libres de leurs actions, passionnés pour leur entreprise et s’y consacrant tout entiers, qui en jetèrent les fondemens. Telle fut dans les temps modernes l’origine de l’École polytechnique. Telle fut aussi celle de la première école des sourds-muets, qui fut érigée en institution royale en 1791, après avoir été soutenue pendant douze ans des seuls deniers de l’abbé de l’Épée. Telle est encore, dans un ordre différent, l’origine de la colonie de Mettray, l’une des plus belles conceptions du