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dans ses rapports avec l’Angleterre. On l’a vu dans l’affaire des frontières du Maine, terminée par le traité Ashburton ; on l’a vu dans l’affaire de l’Orégon et du détroit de Jean-de-Fuca, où les États-Unis, sans forme de procès, mirent la main sur l’objet du litige. On le voit depuis plusieurs années dans l’affaire de l’Alabama, qui semble interminable, et où ils ont traité l’Angleterre comme s’il ne devait pas y avoir de terme à sa patience.

C’est une justice à rendre à l’Angleterre que depuis un certain nombre d’années son gouvernement a eu l’excellent esprit d’abjurer le système que nous venons de signaler ; mais ce revirement a été accompagné de telles circonstances, que, contrairement à ce qu’on aurait pu supposer, il n’a été d’aucune utilité pour l’Europe au point de vue du respect des saines doctrines du droit international. La politique qu’elle a substituée aux allures agressives a eu beau en être l’opposé, le monde n’en a pas moins rétrogradé dans la pratique de ce droit, et cette politique nouvelle en a été jusqu’à un certain point la complice contre la volonté de ses promoteurs. Et voici comme. Naguère l’Angleterre s’ingérait trop dans les affaires du continent, désormais elle fait comme si ces affaires ne la regardaient pas ; elle se comporte comme si elle n’était pas liée à ce continent par sa proximité extrême, qui est, quoi qu’elle veuille, un lien indissoluble. En se dégageant de l’Europe, elle a retiré du concert des peuples européens une puissance considérable dont l’absence ou l’abstention a eu de déplorables effets. Par la grandeur de ses intérêts extérieurs, par l’extension prodigieuse de son commerce, elle est naturellement une force du premier ordre au profit de la paix. Elle dehors, les élémens belliqueux ont pu prendre la prépondérance. L’équilibre a été rompu au profit des appétits de conquêtes, dès qu’il a plu à ceux-ci de se manifester sous les auspices d’un cabinet sans scrupule, après des préparatifs habilement combinés pendant une suite d’années. Si aujourd’hui en Europe il n’y a plus de sécurité pour aucune nation, on est fondé à l’imputer dans une certaine mesure à l’Angleterre. C’est qu’elle a été d’un extrême à l’autre, c’est que dans sa politique nouvelle elle a affecté de se désintéresser complètement du continent européen, comme si c’était une partie des terres polaires ou du désert de Gobi, laissant ainsi le champ libre aux entreprises les plus audacieuses. Si elle avait signifié son veto à la Prusse quand celle-ci, au mépris de toute justice, pour ne pas dire de toute pudeur, se précipita sur l’infortuné Danemark en 1864, elle eût épargné au monde le spectacle d’une grande iniquité ; elle eût arrêté à leur début ces violences où la puissance française a succombé au grand détriment, qu’elle n’a pas voulu apercevoir, de la sienne propre.