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conduite que la raison déduit, comme étant conformes à la justice, de la nature de l’association qui existe parmi les nations indépendantes, en y admettant toutefois les modifications qui peuvent être établies par l’usage et le consentement général. »

C’est très bien pensé ; quoi de plus digne de respect que la raison et la justice ? Quoi de meilleur que de considérer les nations comme formant, soit en vertu d’une loi supérieure, soit sous la pression de la civilisation même, un grand corps dont toutes les parties sont solidaires, une association, je voudrais pouvoir dire une famille, mais le genre humain y ressemble si peu présentement ? De même il était indispensable de réserver une porte au progrès, ainsi que le recommande, en termes un peu couverts, la définition de M. Wheaton. Or cependant qui sera l’interprète de la raison et de la justice ? Qui jugera des modifications à introduire en vertu du progrès, et qui fixera le moment de l’introduction ? Qui soumettra les résistances à la volonté de la majorité, même très forte, des hommes éclairés, pour faire prévaloir des règles nouvelles ou faire respecter les anciennes ? Autant de questions qui, il faut le dire, sont insolubles dans l’état présent des choses.

Il y a donc nécessairement beaucoup de vague et d’arbitraire dans le droit international, non tel qu’il est tracé dans les livres des bons auteurs, mais tel qu’il est pratiqué. Il est et il n’est pas, car un droit qui manque de base certaine en ce que personne n’a qualité universellement reconnue pour le proclamer, et qui est dépourvu de sanction, se trouve par cela même dans un état intermédiaire entre la vie et le néant.

C’est vraisemblablement sous cette impression qu’un magistrat éminent de l’Angleterre, lord Cairns, traitant du droit international, le réduit à une opinion. — C’est, dit-il, l’expression formelle de l’opinion publique du monde civilisé touchant les règles de conduite qui doivent régir les relations des nations indépendantes, opinion découlant de la, source de toute opinion publique, les convictions morales et intellectuelles de l’humanité. — Le mal est que l’humanité n’a pas de fondé de pouvoirs qui puisse parler pour elle et qui possède l’autorité nécessaire à faire écouter sa voix. D’ailleurs lorsqu’il s’agit des événemens contemporains, l’opinion publique est vacillante et facile à égarer par le souffle de la passion ; c’est donc une base bien incertaine. En l’état actuel des choses, le droit international est, dans le règlement des affaires de nation à nation, ce que sont dans les commissions les membres qui n’ont que voix consultative. Il vient après le canon, qui, seul, a voix délibérative.

Il y a donc de ce côté une bien regrettable lacune dans le gouvernement du genre humain. Pour la combler, on a imaginé à diverses époques des institutions ou des expédiens qui ont été