Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

missions. L’influence que nous procure un protectorat qui s’étend sur 500,000 catholiques pourrait être considérable, si elle s’exerçait dans d’autres conditions. Malheureusement les missions sont pour la France une source de conflits irritans, de contestations, sans fin et de chaque jour. Par là même, les commerçans français se trouvent exposés à plus d’inconvéniens que les autres étrangers ; il ne faut pas oublier que la populace de Tien-tsin n’en voulait qu’aux Français.

Une circulaire récemment publiée par le gouvernement chinois a mis en lumière quelques-unes des causes qui peuvent rendre l’œuvre des missions, telle qu’elle est actuellement conduite, dangereuse pour le maintien des bonnes relations entre les pays étrangers et le Céleste-Empire. Les missionnaires catholiques, sans y être spécialement désignés, en sont certainement le point de mire unique. Ce document mérite d’être étudié avec soin, bien que le peu de mesure avec lequel il est rédigé, les propositions inacceptables qu’il renferme, le ton ironique qui y règne, en amoindrissent la portée. La circulaire appelle d’abord l’attention sur les orphelinats de la Sainte-Enfance et demande qu’aucun établissement de ce genre ne puisse s’ouvrir sans que les autorités locales en aient été averties ; elle demande aussi qu’une surveillance soit exercée sur ces orphelinats, et que l’enfant devenu grand soit rendu à ses parens, s’ils le réclament. Les missionnaires peuvent répondre que, si des parens abandonnent leurs enfans, ils perdent par là même le droit de venir les réclamer, surtout après que, pendant quinze ans, l’orphelinat a supporté les frais de leur éducation. Quant à laisser l’autorité locale exercer une surveillance sur les orphelinats, nous ne croyons pas que la plupart des chefs de missions doivent s’y refuser. Une inspection du vice-roi de Nankin, qui vint à la sollicitation des jésuites visiter leur orphelinat, fit tomber de faux bruits répandus dans la populace, et épargna probablement à cet établissement le sort de celui de Tien-tsin. Les asiles de ce genre prêtent un facile prétexte à des soupçons malveillans, qu’il importe de dissiper par toute la publicité possible. Sur les enfans qu’on y recueille, pauvres êtres chétifs condamnés pour la plupart à la mort par suite de l’abandon, la mortalité est très grande, souvent dans la proportion de 8 sur 10. La population de la Chine ajoute facilement foi aux plus sottes rumeurs. Il y a quelques mois à peine, la province de Canton fut agitée par une émotion subite ; la mortalité y était très grande par suite de la température irrégulière de l’été ; le bruit courut que des étrangers jetaient dans les puits une drogue dite « des génies, » qui produisait une enflure dont on ne pouvait guérir qu’en allant trouver les missionnaires et en embrassant leur