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rattache ses affections au gouvernement. Il ne suffit pas que les questions de droit privé soient décidées avec justice, ni que les juges soient supérieurs à l’infamie de la corruption pécuniaire. Jeffries lui-même, quand il ne s’agissait pas de la cour, était un juge probe. Un juge qui est sous l’influence du gouvernement peut être honnête dans la solution des procès privés et pourtant traître envers la nation. » Comment les juges anglais sont-ils soustraits à l’influence du gouvernement ? Comment la justice est-elle devenue le pouvoir suprême, le grand régulateur de l’état ? Ceux qui font les lois, presque en tous pays, se croient supérieurs aux lois ; en Angleterre, le législateur tire plus de gloire du respect qu’on accorde à la loi que de la puissance qu’il possède de la changer. En France, qui a le plus souvent violé la légalité, les rois ou les assemblées ? Notre histoire est remplie des outrages que la monarchie absolue, puis les gouvernemens révolutionnaires, ont faits au droit. C’est en France qu’a été dit ce mot : « la légalité nous tue ! »

« Nous comptons, dit le duc de Broglie dans son livre sur le Gouvernement de la France, des juges non par centaines, mais par milliers. De ce fait, il résulte que nous ne pouvons avoir, comme nos voisins, un corps composé d’hommes de premier ordre et de jurisconsultes consommés. » Si l’autorité judiciaire est si puissante en Angleterre, cela vient de ce qu’il y a très peu de juges. Trois cours seulement représentent l’ancienne coir du roi, l’aula regia, celle du banc du roi, plus spécialement chargée à l’origine des procès criminels, celle de l’échiquier des matières fiscales, celles des plaids communs, des causes civiles ordinaires. Chacune a cinq juges seulement ; et quinze juges, dans leurs assises criminelles et civiles, rendent la justice dans presque toute la Grande-Bretagne. Il faut ajouter à ces cours de droit strict les cours d’équité, qui peuvent suppléer à la loi, en corriger les lacunes, qui créent une sorte de droit perpétuel, organique, toujours en croissance, émané de la conscience individuelle du juge. Il y a donc fort peu de juges ; ces personnages sont hors de pair, ils ont une majesté empruntée à la majesté royale, une dignité aussi stable que celle des législateurs héréditaires. À peine monté sur le trône, George III décida que les commissions royales données aux juges n’expireraient pas à la mort du souverain. Leurs appointemens sont payés par la liste civile, et ne sont par conséquent pas discutés tous les ans dans le parlement, puisque le chiffre de la liste civile est réglé pour toute la durée d’un règne. Le lord chancelier, qui est ministre de la justice, et président de la chambre des lords en même temps que juge, reçoit 500,000 fr. par an, le chief justice du banc de la reine 200,000 fr., celui des plaids communs et le lord chief baron 175,000 fr. ; les