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missionnaires. Les évêques, considérés comme notables, pouvaient soumettre eux-mêmes aux fonctionnaires chinois les affaires intéressant leurs communautés. Aujourd’hui nos évêques sont regardés comme de hauts fonctionnaires français ; ils ont voulu prendre les insignes extérieurs des dignitaires chinois, et ceux-ci les leur contestent ; ils correspondent par lettres avec les vice-rois ou gouverneurs des provinces, et leurs lettres ne sont pas toujours bien accueillies ; ils ont plus difficilement accès dans les classes éclairées, parmi lesquelles se feraient les conversions fructueuses par l’exemple ; leurs néophytes ne se trouvent plus que parmi les pêcheurs, les portefaix, les gens des dernières classes, et même, depuis quelque temps, le nombre ne s’en’ est accru que dans une proportion insignifiante.

La France a du reste accepté franchement les conséquences de ses guerres, et exerce aussi bien que possible le protectorat qu’elle avait assumé. Les questions relatives aux missions ont absorbé toute l’activité de nos ministres et de nos agens. Chaque meurtre de missionnaire ou de chrétien, chaque pillage de chapelle a été suivi de réclamations persévérantes qui ont amené des châtimens pour les coupables, des indemnités pour les victimes ou les communautés. Sans remonter au-delà de 1869, nous avons vu alors le chargé d’affaires français, escorté d’une division navale, se rendre lui-même dans chaque capitale des provinces qui bordent le Fleuve-Bleu jusqu’à Han-kou, afin de résoudre au profit des missions des questions en litige. Les consulats de Tien-tsin, de Han-kou, de Canton, ne sont pas autre chose que des postes affectés à la protection des intérêts religieux.

On peut se demander si la France est tenue de continuer cette politique. Pour répondre, il faut examiner la question suivante : l’œuvre des missions ne peut-elle subsister ni s’étendre en Chine sans avoir derrière elle le gouvernement français, et nous procure-t-elle en échange une influence réelle ? Il semble en effet que la France devrait s’abstenir d’appuyer la propagande catholique, si cette propagande restait une cause incessante de troubles et de discordes. Mais on a déjà vu que l’hostilité des Chinois provient bien plus de l’intervention de nos armes que de l’œuvre même des missions. Il en résulte que la France n’a plus le droit d’abandonner les missionnaires à eux-mêmes ; leur situation dans l’intérieur de la Chine a été créée par des traités aux obligations desquels le gouvernement de la république se trouve lié. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’améliorer ce qui existe, et, si l’on veut bien considérer que la Chine est le pays le plus tolérant en matière de religion, on peut espérer qu’il sera possible de détruire la défiance qui entoure les