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plus de concorde ; « ils crient : la paix ! et il n’y a point de paix. » En Angleterre, les partis ne s’offrent jamais la branche d’olivier, ils se poursuivent, se querellent, s’invectivent sans relâche, mais leur inimitié n’est point mortelle.

Les réformes électorales n’ont pas encore altéré la nature du parlement. La réforme de 1867 a été très radicale ; elle a considérablement augmenté le corps électoral, mais rien n’a été changé dans l’idéal constitutionnel. Aujourd’hui comme autrefois, le député est un représentant, sans être un simple délégué, c’est-à-dire qu’il représente des intérêts plutôt que des personnes ; il ne subit point le mandat impératif. Souverain le jour de l’élection, le corps électoral s’efface le lendemain. Chaque intérêt cherche ses collèges électoraux, les achète au besoin. L’électeur transmet en quelque sorte une puissance plutôt qu’il ne la produit, il est pareil aux courroies des usines. La vraie puissance est dans les choses durables, dans la richesse naturelle ou créée, dans la terre, dans les manufactures, dans le capital ; les électeurs l’en expriment en quelque sorte et ne font pas autre chose. Les compagnies d’assurance, par exemple, ont intérêt à être représentées au parlement ; elles trouvent des électeurs dociles, et disposent d’une cinquantaine de voix (1867). La terre, au moment où se faisait la réforme de 1867, avait 396 représentans dans les comtés, sans parler de 200 nommés dans les bourgs, mais appartenant à la classe des propriétaires fonciers.

La terre et le capital immobilier se partagent le parlement. La terre y a encore la part du lion, on peut bien compter 500 voix pour elle ; le reste appartient au commerce, aux mines, aux manufactures, aux banques, aux manieurs d’argent. De même que dans la société civile une fortune mobilière semble moins noble qu’une fortune territoriale, le capital, incertain, fragile, remuant, abandonne encore la primauté politique au capital séculaire, éternel, immobile. Il n’y a plus au reste entre eux de rivalité, comme au temps de l’abolition de la loi des céréales. Tout le monde sait que, plus riche sera le commerce anglais, plus riche sera la terre anglaise. Les profits faits aux quatre coins du globe viennent s’endormir dans les champs mieux drainés, dans les prés, se solidifier dans les murailles des châteaux. Mille bras vont comme des tentacules chercher la richesse sur la terre entière pour la ramener toujours à la vieille Angleterre. Il y a dans l’esprit des parlemens des traditions tenaces qui survivent à toutes les réformes. Le corps électoral les subit ; les électeurs ne peuvent que choisir entre des hommes qui, sous des masques différens, ont même visage. La réforme de 1832 a surtout profité à la classe des petits boutiquiers,