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dans la Gaule l’esprit et les mœurs de la liberté, et l’on reconnaît bien d’ailleurs dans l’histoire de toute la période mérovingienne que la liberté fut leur moindre souci.

L’établissement des Germains en Gaule n’a donc pas pu produire les grands effets qu’on lui attribue ordinairement. Le sang n’a pas été notablement altéré, car ces Germains étaient peu nombreux. La manière même dont ils sont entrés dans le pays ne leur permettait pas d’en changer la face. Ils n’ont été ni des vainqueurs ni des maîtres. Tout ce qui est vivace dans une nation et tout ce qui y est signe de vie a subsisté en Gaule après eux. La langue est restée telle qu’on la parlait au temps de l’empire ; rien n’a été changé ni à ses radicaux, ni à ses règles, ni à son accent ; elle s’est modifiée ensuite d’âge en âge, suivant les lois naturelles des langues, sans que l’invasion germanique ait été pour rien dans sa lente et régulière transformation. Ces mêmes Germains n’ont eu aucune influence sur les croyances religieuses du pays. Ni les Francs n’ont songé à établir en Gaule leur vieux culte, ni les Wisigoths n’ont réussi à y implanter leur arianisme. Rien n’a disparu des croyances, des rites, de la discipline même de l’église. Tous les Germains qui sont entrés en Gaule, en Espagne, en Italie, n’ont pas empêché le catholicisme de se développer conformément aux habitudes d’esprit des populations du sud-ouest de l’Europe. Quant aux mœurs et au caractère de ces nations, on ne voit pas non plus que les Germains y aient mis leur empreinte ; ils n’ont apporté ni une idée ni un sentiment qui leur fût propre. A regarder enfin à quel niveau tombèrent le sens moral et l’intelligence dans les siècles qui suivirent l’invasion, on ne saurait prétendre que ces Germains aient épuré la conscience humaine ou ravivé l’esprit.

Ils n’eurent pas plus d’action sur les institutions politiques que sur la langue, la religion et le caractère. Ils n’ont pas transplanté en Gaule les institutions de la tribu germaine, car ils les avaient oubliées. Ils n’y ont introduit ni le régime féodal, qu’ils ne connaissaient pas, ni le servage de la glèbe, qui existait avant l’invasion. Ils n’ont pas plus asservi la population gauloise qu’ils ne l’ont affranchie. Ni la monarchie ni la liberté ne viennent d’eux. Le régime féodal n’est pas un fait de conquête, car il n’a pas été établi par les vainqueurs aux dépens des vaincus. Il n’est pas le fruit de l’invasion, car le germe s’en trouve déjà d’une manière très manifeste dans l’empire romain. Il n’est pas plus germanique que gaulois car il s’est développé avec la même vigueur chez les deux races et chez beaucoup d’autres encore. Il fut la conséquence naturelle d’un certain, état social auquel les incursions germaniques n’ont pas été étrangères, mais que ces incursions n’ont pas créé toutes seules.


FUSTEL DE COUL ANGES.