Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs lois civiles ; encore serait-il téméraire d’affirmer que les codes qu’ils rédigèrent en Gaule furent l’expression exacte des vieilles coutumes d’outre-Rhin. En tout cas, ce qui est possible pour les lois civiles et les coutumes ne l’est pas pour les institutions politiques. Celles-ci ne sont pas chose que l’on puisse perdre et retrouver arbitrairement, laisser de côté et reprendre comme on veut. Un système d’institutions ne dure que par une pratique constante. Une fois que la tradition en est brisée, on ne la renoue pas. Ce serait un fait unique dans l’histoire du monde que les Francs, après avoir perdu leurs institutions, les eussent ensuite retrouvées et remises en vigueur. Ajoutons que les nouvelles conditions de leur existence et l’entourage de la population gauloise ne se fussent pas prêtés à une telle restauration.

Ces Francs, au moment où ils avaient passé la frontière, n’étaient plus que des guerriers. Ils ne purent apporter en Gaule que les usages de la troupe guerrière. Or le caractère germain se plie à merveille à la discipline du soldat. Déjà Tacite l’a remarqué : « Qui survit à son chef et revient sans lui du combat est déshonoré pour la vie. Le défendre, le couvrir de son corps, rapporter à sa gloire tout ce qu’on fait soi-même de beau, voilà le devoir : le chef combat pour la victoire ; eux pour le chef. » Cela nous donne une idée du respect, de la soumission aveugle, de l’abnégation du soldat germain. Il est vrai que ce soldat a élu son chef ; mais comme il lui obéit ! Qu’on se rappelle l’anecdote du vase de Soissons : le chef frappe de sa hache l’un des siens ; toute la troupe est là qui regarde et qui tremble. Ces Germains dans la vie civile sont très capables de liberté ; faites-en des soldats, ils ne connaissent plus que la discipline, Il n’y a tout au plus que la question de butin qui puisse parfois altérer leur obéissance ; c’est pour affaire de butin que ce guerrier de Clovis a mérité sa colère, c’est encore pour affaire de butin que les guerriers de Thierry et de Clotaire II manquent au devoir de soumission. Hors ce point, ils savent toujours obéir. Leur chef est un maître absolu dont le pouvoir n’est limité par aucune loi.

On est frappé de quelques actes d’insubordination de ces guerriers ; mais l’insubordination n’a rien de commun avec la liberté, elle en suppose plutôt l’absence. Il ne semble pas que les Francs se soient jamais préoccupés d’assurer leur indépendance vis-à-vis des rois, ni qu’ils aient songé à se mettre en garde contre la monarchie. Qu’on lise les codes des Saliens, des Ripuaires, des Burgondes : ils ont été discutés et rédigés dans des réunions qui avaient quelque apparence d’assemblées nationales ; on n’y trouve pourtant pas la moindre allusion aux droits politiques d’un peuple libre. Tout au contraire la royauté se présente dans ces codes avec les privilèges et l’autorité qui s’attachaient à la monarchie impériale. Elle en a les