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Germains l’appauvrirent. C’est alors qu’un certain nombre de propriétaires fonciers, devinrent incapables de payer l’impôt, et que, la misère croissant, des bandes de paysans se firent brigands et bagaudes ; mais ces faits n’ont jamais été généraux en Gaule, et il semble que les historiens modernes en aient fort exagéré la portée. Les administrations municipales, que l’on croit avoir été désertées vers la fin de l’empire, l’étaient si peu qu’elles ont survécu à l’empire lui-même. Les révoltes des bagaudes ont été réprimées sans peine. La haine que l’on attribue à ces populations à l’égard de l’empire romain est démentie par le fidèle et pieux attachement qu’elles lui conservèrent. Les Germains eux-mêmes n’auraient pas eu tant de respect pour lui, s’ils avaient vu le peuple le haïr.

Si d’ailleurs la Gaule avait été tellement esclave que l’amour même de la liberté se fût éteint en elle, on ne comprend pas bien comment l’arrivée des Germains l’aurait ravivé. On a beaucoup vanté la vieille liberté de ces peuples. Nous ne chercherons pas ici jusqu’à quel point ils avaient été libres dans leurs forêts, ni s’il n’y a pas quelque illusion à croire que la liberté ait pu fleurir au milieu de l’état sauvage et du désordre ; mais, à supposer que leurs anciennes institutions d’outre-Rhin fussent supérieures à celles des Gaulois, une chose est certaine, c’est qu’ils ne les ont pas apportées en Gaule. On ne doit en effet jamais perdre de vue que ceux d’entre les Germains qui s’établirent dans ce pays n’étaient pas des peuples ; ils n’étaient que des armées. Les uns étaient des débris de tribus détruites, les autres étaient des guerriers de toute tribu qui avaient quitté leur pays pour se mettre au service de l’empire ou pour le piller. Les Burgondes et les Francs n’avaient jamais été des nations ; les Wisigoths eux-mêmes, à partir du moment où le choc des Huns les avait frappés, avaient cessé d’en être une. Leur historien Jornandès les appelle une armée. Ils avaient des rois ; mais le titre de roi désignait le commandement militaire bien plus que l’autorité politique. Pas un seul peuple germanique, pas une seule tribu n’entra en Gaule ! Ce que l’on dit des tribus franques ne s’appuie sur aucun texte. Les Saliens de Clovis n’étaient pas plus une tribu que les Saliens casernes à Constantinople ou en Mésopotamie[1] n’en étaient une autre. Ce n’étaient là qu’autant de troupes de soldats.

Tous ces hommes qui étaient sortis de leur pays pour se faire guerriers au service d’une puissance étrangère, tous ces hommes qui s’étaient mis en dehors des conditions sociales de la tribu, n’avaient pas pu en emporter les institutions avec eux. Ils durent les oublier pendant la durée de quatre ou cinq générations où ils servirent l’empire. Il est possible qu’ils aient conservé le souvenir de

  1. Notitia dignitatum utriusque imperii.