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Ses fils et ses petits-fils firent comme lui. Ils entretinrent des relations suivies avec la cour de Constantinople ; ils continuèrent à regarder l’empire comme la source la plus haute et la plus légitime de leur pouvoir. Lorsque Théodebert, fils de Thierry, se fut emparé de la Provence, il ne crut pas la posséder justement, s’il ne se la faisait donner par un diplôme de l’empereur Justinien. On a des lettres de Théodebert et de Childebert adressées aux empereurs de Constantinople ; ils les appellent du nom de maître, dominus'', qui était le terme obligé quand un sujet parlait au prince. Dans la pensée des hommes de ce temps-là, l’empire n’avait pas péri. Non-seulement il restait debout, mais c’était par lui seul qu’on régnait. Il n’est pas douteux que Constantinople ne fût alors considérée comme la vraie capitale du monde.

Il faut ajouter que les rois francs ne purent pas s’astreindre longtemps à une subordination qu’il leur était si facile de faire cesser. Un chroniqueur a marqué ce changement avec des expressions dont la netteté est remarquable. Parlant de l’année 524, c’est-à-dire treize ans après la mort de Clovis, il dit : « C’était le temps où la Gaule était sous la domination de l’empereur Justin. » Parlant ensuite de l’année 539, il écrit : « Alors les rois, laissant de côté les droits de l’empire et ne tenant plus compte de la souveraineté de la république romaine, gouvernaient en leur propre nom et exerçaient un pouvoir personnel. » Ainsi les contemporains avaient distingué la période où les chefs germains avaient gouverné comme délégués des empereurs de celle où ils régnèrent comme souverains indépendans. La première, si l’on prend pour point de départ l’invasion de 406, eut une durée d’environ cent trente années ; elle se prolongea sous les rois wisigoths et burgondes, sous Clovis et ses fils. Ce fut donc une suite de quatre ou cinq générations d’hommes qui, après l’entrée des Germains, se crurent encore sujets de l’empire, et le furent en réalité dans une certaine mesure. Assurément ces quatre ou cinq générations ne se sont pas fait des événemens dont elles ont été témoins l’idée qu’on s’en est faite depuis. Elles n’y ont pas vu une conquête. Elles en ont sans doute beaucoup souffert- et beaucoup gémi, elles ont été victimes d’une foule de désordres, de convoitises et de violences ; mais elles ne se regardèrent jamais comme une race vaincue sous la main et sous le joug d’une race victorieuse. Ce n’est pas. sous cet aspect que les faits se présentèrent à elles.


III. — LE REGIME FEODAL N’A PAS ETE UNE CONSEQUENCE DE LA CONQUÊTE.

On a souvent attribué aux Germains l’invention du régime féodal. Ce qui est certain, c’est qu’il n’existait rien en Germanie qui