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royale. On avait entendu l’un d’eux, et l’un des plus puissans, s’écrier à l’aspect de l’empereur : « Oui, l’empereur est un dieu sur la terre. » Un autre avait écrit : « Je m’estime plus de vous obéir que de commander à mon peuple. » Seulement ces chefs d’armée firent souvent par cupidité ou par colère ce qu’avaient fait pendant trois siècles les anciennes armées romaines ; sans renverser l’empire, ils renversèrent des empereurs et en nommèrent d’autres. Ils se battirent entre eux pour faire prévaloir les princes de leur choix. C’est ainsi que les Wisigoths donnèrent la pourpre à Avitus, les Suèves à Majorien, les Burgondes à Glycérius. Il est à remarquer que ces chefs germains ne songeaient jamais à se faire empereurs eux-mêmes. Ils choisissaient toujours des Romains. Pour eux, ils n’osaient toucher à la pourpre.

Lorsque l’un de ces chefs de fédèrés, Odoacre, se fit roi en Italie, il ne renversa pas pour cela l’empire. Il se contenta, ne voulant pas avoir un empereur trop près de lui, de transporter la dignité impériale au prince qui régnait à Constantinople. Cela ne surprit pas les contemporains ; ils savaient que Rome et Constantinople étaient les deux capitales d’un même état qui n’avait eu longtemps qu’un seul chef. Le prince qui avait son palais à Constantinople portait le titre officiel d’empereur des Romains et d’Auguste. Le sénat de Rome, sur l’invitation d’Odoacre, adressa une ambassade à l’empereur Zénon pour lui déclarer qu’un seul monarque suffisait à gouverner l’Orient et l’Occident. Odoacre de son côté lui envoya les insignes de l’autorité impériale et apparemment la promesse d’une sujétion qui ne devait pas lui coûter beaucoup. Il reçut en retour le titre romain de patrice. En tout cela, Odoacre ne supprimait pas l’empire, il éloignait seulement l’empereur.

La population gauloise continua de croire à l’existence de l’empire. Elle persista à considérer l’empereur des Romains comme son chef suprême, et s’attacha d’autant plus à ce pouvoir lointain qu’elle n’en sentait plus le poids. Elle adopta les lois et les codes romains, elle conserva la langue de l’empire, elle continua pendant plusieurs siècles à s’appeler romaine. Voyez les chroniqueurs du temps ; ils marquent avec plus de soin l’avènement des empereurs que celui des rois, ils sont attentifs à ce qui se passe dans la capitale de l’empire, ils comptent les années par les consuls annuels de Constantinople[1].

Lorsque, plusieurs siècles après ces événemens, on a cherché à les expliquer, on a été très frappé de ce que la population gauloise n’avait jamais, sauf des cas isolés et accidentels, résisté aux Germains ; les uns ont expliqué cela par la lâcheté des Gaulois, les

  1. Voy. Monod, les Sources de l’histoire des Mérovingiens, dans le recueil des travaux de l’École des hautes études.