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carliste a éclaté au nom du roi légitime don Carlos, duc de Madrid, de la religion et de l’indépendance nationale ! Elle n’avait, à vrai dire, rien d’imprévu, cette insurrection, puisqu’elle avait été annoncée publiquement. Le duc de Madrid avait donné à ses partisans, aux députés carlistes récemment élus, l’ordre de ne point aller siéger aux cortès ; il avait même envoyé ses instructions à M. Candido Nocedal, comme à une sorte de premier ministre chargé de ses pleins pouvoirs. Le jour où l’on devait prendre les armes était fixé, il n’y avait en vérité rien de mystérieux ; ainsi vont les choses en Espagne ! Le fait est qu’à l’heure dite l’insurrection a éclaté, et en quelques jours elle a pris une tournure tout au moins inquiétante. Des bandes se sont montrées un peu de tous les côtés, sauf dans l’Andalousie : on en a vu jusque dans les monts de Tolède, au-delà de Madrid, autour de Guadalajara, dans la Vieille-Castille, dans certaines régions de la province de Valence, dans l’Aragon ; mais en définitive l’insurrection semble concentrée au nord, dans la Navarre et dans les provinces basques, où elle a, comme c’est arrivé dans d’autres temps, ses forces principales, son quartier-général et un théâtre d’opérations plus favorable à la guerre de partisans qu’aux marches d’une armée régulière. Au premier instant, le gouvernement n’a pas paru trop s’émouvoir, il n’a pas tardé à comprendre que le mouvement était sérieux, et la meilleure preuve qu’il en a jugé ainsi, c’est qu’il a chargé le général Serrano de se rendre en Navarre pour prendre le commandement des opérations militaires.

C’est donc tout au moins un commencement de guerre civile. Le gouvernement du roi Amédée a bien des chances de succès, cela n’est point douteux, il dominera la situation, c’est infiniment probable. Il ne faut pas s’y tromper cependant, le danger est grave. Le parti carliste est le seul en Espagne qui ait un fanatisme véritable. Jusqu’ici, il ne s’était engagé que très partiellement, cette fois la campagne semble plus sérieuse. Il y a d’anciens officiers de l’armée, des députés, à la tête des bandes. Les provinces basques et la Navarre sont tout entières dans l’insurrection. Le duc de Madrid est-il déjà en Espagne ? On ne le sait pas encore ; il vient de publier un manifeste qui est une avance à tous les partis, et on a eu l’habileté de substituer à tous les mots d’ordre ce cri de ralliement qui peut trouver un écho dans les passions nationales : vive l’Espagne ! à bas l’étranger ! Ce n’est pas tout. Les carlistes sont déjà en armes ; mais les républicains à leur tour ne profiteront-ils pas de l’occasion pour se jeter dans la lutte, et ne s’insurgeront-ils pas dans les villes tandis que les bandes de don Carlos tiendront la campagne ? On fait de grands efforts à Madrid pour les retenir ; d’autres annoncent tout haut que l’insurrection républicaine sera pour le 2 mai. Cette fois le chaos serait complet, et au fond toutes ces effroyables perspectives servent peut-être mieux que tout le reste le gouvernement