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tout poussées assez loin, rien n’est plus clair. L’impératrice est intervenue, puisque le roi de Prusse lui écrivait de Versailles le 25 octobre : « A l’heure qu’il est, je regrette que l’incertitude où nous nous trouvons par rapport aux dispositions politiques de l’armée de Metz, autant que de la nation française, ne nous permette pas de donner suite aux négociations proposées par votre majesté. »

L’intrigue a été menée jusqu’au bout ; seulement ce n’était qu’une intrigue de M. de Bismarck, des chefs prussiens, et, le tour une fois joué, il n’est plus resté à l’armée de Metz qu’à capituler. Le maréchal Bazaine s’y est laissé prendre, il a été saisi d’un de ces troubles d’esprit qui sont le malheur d’un chef militaire. Enfin, dans ces tristes événemens, il y a toujours un fait obscur et pénible qui n’est pas entièrement expliqué, c’est cette histoire des drapeaux que le maréchal Bazaine avait donné l’ordre de brûler, qui n’ont pas été détruits, et qu’il a fallu livrer à l’ennemi. C’est le poignant épilogue de toutes ces péripéties qui à cette époque allaient retentir si cruellement dans un pays disposé par l’infortune à toutes les méfiances, et qui pèsent encore aujourd’hui sur la conscience publique.

Quand on tourne ses regards vers ces mois lugubres de 1870 à 1871 qui ont été à la fois si longs et si courts, qui sont comme un tissu de catastrophes, il semble qu’on ne doive jamais épuiser tout ce qu’ils contiennent de dramatiques et cruels enseignemens, de terreur et de pitié. Ces événemens, ils sont faits pour l’histoire sans doute, et ils ont aussi certainement leur sombre et émouvante poésie. L’Année terrible, le titre est bien trouvé par M. Victor Hugo, et le sujet était digne d’une grande inspiration. Oui, l’année terrible, l’année des deuils publics, de l’invasion de la France, des mutilations nationales, des déchiremens de guerre civile ! que faut-il de plus pour donner à un poème les couleurs dantesques ? Les campagnes ravagées par la soldatesque ennemie, les populations en fuite, les armées captives ou réduites à chercher un chemin à travers les neiges jusque par-delà les frontières, Paris assiégé pendant cinq mois, puis livré à l’insultante domination d’histrions sinistres, puis brûlé par de nouveaux barbares, Moscou, Leipzig, la Berezina, Waterloo dépassés, oh ! jamais sûrement l’imagination n’avait pu rêver de pareils spectacles en pleine civilisation ! Qu’a fait M. Victor Hugo de ces navrans et prodigieux élémens d’inspiration ? Il a laissé tomber de sa plume une série d’élucubrations d’une artificielle sonorité, d’une fatigante redondance. S’il n’a pas mis l’année terrible en sonnets, il n’a fait guère mieux. Cela ne veut point dire qu’il n’y ait par instans dans ces pages un reste du vieux souffle lyrique de l’auteur. L’ancien Hugo se retrouve dans un éclair, par exemple dans ce fragment sur Sedan, où, après avoir convoqué toutes les gloires françaises depuis la Gaule, toutes nos victoires depuis Tolbiac et Châlons jusqu’à Wagram,