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questions, l’accord de l’assemblée et du gouvernement est complet, et il est d’autant plus nécessaire qu’il peut aider à résoudre une difficulté qui survit à cette discussion même. À qui appartient le droit de nommer les maires dans les grandes villes ? Si le gouvernement garde ce droit, qu’il a réclamé l’an dernier, il doit l’exercer complètement. Si par prudence, comme il le fait quelquefois, il se borne à sanctionner le choix des conseils municipaux, il prend une responsabilité singulière. On l’a vu à Angers, au Havre, où des maires nommés par le ministère de l’intérieur ont pris part à des démonstrations contre l’assemblée nationale. On le voit mieux encore à Lyon. Le gouvernement, pour ne pas entrer en conflit avec le conseil municipal, a cru devoir nommer un maire qui représente le radicalisme le plus pur, et le voilà aujourd’hui obligé de faire arrêter les partisans de ce maire, les membres d’un comité qui règne à Lyon depuis plus d’un an ! C’est une véritable anomalie, une confusion morale que le gouvernement et l’assemblée ne peuvent laisser se perpétuer.

Ce qui reste la grande et invariable affaire de notre politique n’est assurément ni simple ni facile. Remettre de l’ordre dans les esprits comme dans les faits, relever avec une patiente fermeté de tous les instans le crédit, l’autorité extérieure de la France, préparer l’avenir sans parti-pris sur un terrain déblayé des ruines de la guerre étrangère et de la guerre civile, c’est là l’œuvre essentielle, et une des difficultés de cette œuvre, c’est de voir clair dans la situation qui nous a été léguée, c’est de dégager la vérité de cet amas d’événemens dont le poids retombe incessamment sur nous. Évidemment il y a encore aujourd’hui des choses et des hommes sur lesquels l’opinion a besoin d’être éclairée et fixée. S’il n’y a eu que du malheur dans nos tristes affaires, on a pu certainement être malheureux sans être coupable ; s’il y a eu des fautes, les fautes elles-mêmes ne sont cas encore un crime ; s’il y a eu autre chose que des fautes et du malheur, il faut le savoir. Une commission d’enquête composée de généraux est occupée depuis quelques mois à instruire ce grand procès militaire, à éclaircir l’histoire de toutes ces capitulations qui ont été les douleurs les plus poignantes de la dernière guerre, et parmi lesquelles la capitulation de Metz est restée la plus obscure. Les résultats de cette enquête appartiennent nécessairement à l’opinion. De son côté, le maréchal Bazaine, sur qui pèse une responsabilité exceptionnelle, porte aujourd’hui sa cause devant le public par son livre de l’Armée du Rhin. Vivement accusé, livré un instant à toutes les animadversions, il rompt le silence qu’il avait gardé jusqu’ici, il se défend comme il s’est défendu sans doute devant la commission d’enquête. Le général Changarnier vient de dire le mot décisif de tout cela. « La France a le droit de savoir si elle a été loyalement servie ! » C’est une question de moralité publique, de justice nationale.