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le droit de se relever librement, de faire ce qu’elle doit et même ce qu’elle veut, simplement, tranquillement, — et si M. Thiers a aujourd’hui un ascendant si naturel, c’est qu’on sait bien qu’il porte au cœur ce sentiment de la dignité française dans la mesure de modération et de fermeté que comportent les circonstances. Il ne risquera rien et il ne livrera rien, c’est le point essentiel à l’heure où nous sommes. Que M. de Bismarck se préoccupe particulièrement, comme on le dit, des discours que peut prononcer M. Thiers, de ce que pense ou de ce que fait M. le président de la république, il a raison ; il sent bien au fond que M. Thiers, avec sa renommée européenne, avec son expérience des affaires, avec son habitude des grands intérêts diplomatiques, n’est pas le premier venu avec qui on peut en prendre tout à fait à l’aise. Lui qui ne craint personne, il ne peut se défendre peut-être d’une certaine considération instinctive pour un homme qui à des dons personnels supérieurs joint l’autorité de la France, qu’il représente, qu’il a sagement conduite depuis un an. Si léger et si présomptueux que le chancelier prussien se soit montré quelquefois dans ses paroles à notre égard, il l’est moins dans ses démarches, et il hésiterait à pousser jusqu’au bout des exigences que notre gouvernement serait obligé de décliner. Non, on ne connaît pas M. de Bismarck : il écoutera M. le président de la république parlant au nom de la France, il restera poli et correct parce qu’il le doit, et puis parce que ce qu’il a de mieux à faire, c’est de ne rien dire là où il n’a le droit de rien empêcher.

Que peut-on d’ailleurs demander sérieusement à la France ? Est-ce qu’on a la prétention de nous fixer la mesure de nos sentimens, de nos regrets ou de nos espérances, — de nous imposer sous forme d’ultimatum ou d’avertissemens plus ou moins officieux l’amour de la paix que nous avons subie, la sympathie pour les Allemands, l’oubli du passé d’hier et l’abandon de l’avenir ? Ce qu’on a le droit de nous demander sans aucun doute, c’est que nous remplissions les engagemens que nous avons acceptés. Pour cela, la France le fera, et elle le fait tous les jours. Que veut-on de plus ? Si l’Allemagne, au faîte de l’orgueil et de la puissance, trouve qu’il n’y a pas une complète sécurité dans la situation qu’elle a créée, à qui la faute ? C’est elle qui l’a voulu : elle paie les frais de sa grandeur ; elle apprend en Alsace et en Lorraine, elle apprendra de mieux en mieux chaque jour que l’expiation des conquêtes, c’est le trouble dans les dominations abusives. Elle n’est pas au bout. C’est à elle de savoir se retenir sur la pente où elle est, surtout de ne point aggraver les conséquences de la situation qu’elle s’est faite. Quant à la France, sa politique est bien simple : elle reste dans les limites douloureuses que les circonstances lui ont tracées, et elle garde sa liberté, son inviolabilité. Les Allemands peuvent être tranquilles, on ne va pas entrer en campagne contre eux, on ne va pas dénon-