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autrement que par des lois de pèche (sont-elles même efficaces ?) sur les espèces qui jouent un rôle important dans l’alimentation ; mais peut-être en est-il d’autres plus recherchées qu’on arriverait à nourrir comme les murènes des piscines romaines ? Pour cela, le premier point était de s’éclairer sur la vie, les mœurs, le temps de croissance de ces animaux ; mille questions pratiques, avant elles mille autres théoriques, étaient à résoudre. De là le caractère particulier, à la fois scientifique et industriel, de l’établissement fondé à Concarneau.

Concarneau est une étrange petite cité, ville forte autrefois et réputée imprenable ; ses vieilles murailles, que la mer entoure, nous font sourire maintenant avec leurs mâchicoulis et leurs poivrières. Sur la terre ferme s’élève le faubourg, plus grand, plus important que la ville close. L’entrée du port est dangereuse : toutefois, par une singularité de ces rivières, espèces de fiords en miniature qui découpent la côte de Bretagne, les plus grands navires peuvent venir chercher un abri jusque derrière les remparts. Concarneau, d’où partirent jadis des flottes de guerre, est aujourd’hui une ville industrielle. Les sept ou huit cents barques qui font la pêche de la sardine et du maquereau n’arrivent point à lui donner un aspect maritime ; elle est purement fabricante. Les pêcheurs sont des ouvriers d’industrie plutôt que des loups de mer : ils n’ont que des bateaux non pontés, assez mal gréés ; dès que le vent fraîchit, on les voit rentrer au port et attendre, les bras croisés ou regardant jouer au palet, que le ciel s’éclaircisse et qu’il vente moins. Pêcheurs sans conviction d’une pêche sans risques, ils ne ressemblent guère à leurs voisins de Groix, de Gavre, de Penmar’ch et de la pointe du Raz, écumeurs autrefois, aujourd’hui tous, hommes et femmes, intrépides matelots d’une mer toujours tourmentée, aux caps dangereux « que nul, au dire d’un ancien dicton, n’a franchis Sans peur ou malheur. » Au reste, la mer à Concarneau est à l’unisson d’une population plus paisible, — toujours tranquille lorsque ne soufflent pas les grands vents de sud-ouest, calme comme un lac, sans bruit, sans une vague, sans un roulement. Fermée au large par une ceinture de rochers et de petites îles, les Glénan, échauffée par les eaux mourantes du gulf-stream, pleine d’immenses prairies sous-marines de goëmon qu’on exploite pour la soude, cette côte semble toute favorable au développement des animaux de l’Océan. Nul endroit ne pouvait être mieux choisi pour les étudier. D’ailleurs il s’était trouvé à Concarneau, comme dans les Vosges, un pilote, M. Guillou, homme avisé, attentif aux choses de la mer, qui avait fait aussi de la pisciculture d’inspiration ; avec des planches, il s’était fabriqué une sorte de réserve où il gardait