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chimères d’esprits peu pratiques qui croyaient qu’il suffit de semer pour récolter, et qui voyaient déjà tous les cours d’eau de France regorger de poisson, on reconnaîtra sans peine qu’il n’a pas été inutile : il eut surtout un rôle d’entraînement. Partout on s’occupe de cet art, qui a l’attrait de la nouveauté ; tous les laboratoires ont leurs appareils à éclosion sur le modèle de ceux du Collège de France ; chaque département a son comité de pisciculture. Huningue adresse des œufs de toutes parts à qui en demande, à qui veut faire un essai. En certaines années, l’établissement expédie ainsi jusqu’en Écosse, jusqu’en Russie, plus d’un million d’œufs, qui servent moins peut-être à la propagation d’espèces utiles qu’à l’étude et à la vulgarisation de procédés restés jusque-là le secret des pêcheurs ou le domaine des savans. Nos voisins d’outre-Rhin ne dédaignent point de nous suivre dans ce grand mouvement qui vient de France. Les sociétés d’agriculture de l’Allemagne envoient à Huningue leurs délégués, accueillent M. Coste au nombre de leurs membres, s’emparent de la question. On n’entend parler que des expériences de M. Kauffmann à Berlin, de M. Scholtz, forstmeister à Brunswick, du docteur Scholl à Francfort, de M. Ruff à Hohenheim, enfin de MM. Sôheifelhut et Frass à Augsbourg, où la pisciculture, établie dans les fossés des fortifications, est pendant quelque temps pour l’oisif Augsbourgeois ce qu’était à Paris l’hippopotame du Jardin des Plantes. Les têtes couronnées ne résistent pas à l’engouement. En décembre 1853, le roi et la reine de Bavière visitent en grand apparat les essais de pisciculture à l’école vétérinaire de Munich, et le roi de Wurtemberg, qui ne veut pas rester en arrière, établit un appareil à éclosion dans son domaine de Monrepos. C’est alors que M. Coste fait paraître les Instructions pratiques sur la pisciculture, aussitôt traduites dans toutes les langues, en Hollande, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Suède, et, de même que l’Histoire du développement avait marqué le point culminant de l’embryogénie théorique en France, ce petit volume élémentaire du savant professeur marqua l’apogée de cette préoccupation piscicole dont l’établissement d’Huningue était le centre.

Ce temps est déjà bien loin de nous, il appartient presque à une autre génération ; nous pouvons, avec plus de calme, mesurer la valeur des résultats obtenus. S’il fut assurément téméraire d’en attendre d’immédiats, qui n’avaient que trop de chances de ne se point réaliser, on ne saurait contester l’influence de ce mouvement de curiosité, disons de cette mode, si l’on veut, qui porta tout le monde vers la pisciculture. On sait maintenant dans quelles limites, à quelles conditions, la réussite est possible : c’est un grand point ; il ne reste plus que le calcul des circonstances particulières où