Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

générations spontanées, qu’on pourrait appeler une embryogénie spontanée aux dépens de la matière inorganique. Dans le même temps, M. Charles Robin, un autre de ses élèves, tourné vers l’étude des élémens microscopiques qui s’accumulent pour former l’être nouveau, essaie de surprendre les lois de cette embryogénie permanente qui préside pendant toute la vie au renouvellement continu des tissus. C’est qu’en effet nulle science n’est plus vaste : l’embryogénie touche à toute l’histoire naturelle. Le zoologiste y trouve un fil précieux pour le classement des formes primordiales apparues sur le globe, et qu’on retrouve, reflets du passé, dans les phases du développement embryonnaire. Quel argument en faveur des idées de M. Darwin n’a-t-on pas tiré de ce fait, que l’embryon d’un chien, celui d’une tortue et celui de l’homme sont à un moment donné tellement semblables qu’on les pourrait confondre ! Pour l’anatomie et la physiologie, l’importance n’est pas moindre ; nous assistons par l’embryogénie à la construction même du corps, dont les rouages s’ajoutent sous nos yeux les uns aux autres. Nous en suivons la multiplicité et la complication croissantes, et comme chaque organe qui naît puise évidemment le principe même de son existence et de son rôle dans les conditions où il est apparu et qui l’ont précédé, si jamais nous devons connaître ce principe, base de la vie, ce sera certainement par l’observation de ce qui se passe dans la genèse successive des organes.

Cuvier, avant de Blainville, avait probablement compris toute l’importance de l’embryogénie, mais une petite mésaventure paraît l’avoir dégoûté de s’en occuper. Dutrochet lui avait remis un mémoire sur le développement de la brebis, que Cuvier s’appropria sans façon. L’auteur réclama, et le grand naturaliste dut écrire une piteuse lettre d’excuses restée célèbre[1]. De Blainville eut toujours le talent, contrairement à Cuvier, de créer autour de lui l’indépendance. Après l’épreuve faite dans sa propre chaire, il insista pour qu’un enseignement régulier fût confié à M. Coste, qui obtint d’ouvrir un cours au Collège de France, sans être toutefois nommé professeur. Cependant la science nouvelle ne laissa pas que d’avoir ses détracteurs. On prétendit que ce n’étaient pas là des recherches ayant droit de cité dans l’enseignement, et qu’au bout du compte tous les anatomistes, comme tous les zoologistes, devaient être initiés à ces études, et l’on vit ce curieux spectacle des adversaires du nouveau cours se mettant tous à traiter d’embryogénie dans leurs leçons. C’était aller contre le but ; il devenait évident qu’une tribune spéciale était utile pour répandre une science d’intérêt si

  1. Voyez Dutrochet, Mémoires, t. II, p. 284.