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la fois de reculer de plus en plus l’heure des premières manifestations par lesquelles l’œuf laisse voir qu’il est animé de vie, et d’établir la complète ressemblance de ces phénomènes chez tous les êtres, qu’ils soient d’espèce vivipare ou se reproduisent par des œufs. Jusqu’au milieu du siècle dernier, on n’avait fait que peu d’attention au travail intérieur de l’œuf avant l’instant marqué par Aristote où le cœur commence le rhythme de ses battemens qui ne doivent plus s’arrêter qu’à la mort. On avait quelque tendance à croire que « le point bondissant, » le punctum saliens, comme l’appelle Harvey, annonçait le début même de la vie par l’organe essentiel où la croyance populaire plaçait le centre de nos sentimens et de nos affections. On découvrit plus tard que l’apparition du cœur du poulet, — car c’est toujours du poulet qu’il s’agit dans ces recherches, — était précédée de celle des centres nerveux. On avait distingué à la surface du jaune, quelques heures après le commencement de l’incubation, une tache ayant la forme d’un ovale légèrement étranglé en son milieu et parcourue par un sillon suivant le plus grand axe. Ce sont les premiers vestiges de l’animal, déjà visibles longtemps avant que le punctum saliens ait commencé de battre. Ces signes, qui appartiennent nettement à l’embryon, sont eux-mêmes précédés d’une série d’actes qu’on ne saurait rapporter à un être qui n’existe pas encore : ils semblent plutôt le propre de l’œuf en même temps que la condition nécessaire de son évolution à venir. L’œuf, composé d’un jaune ou vitellus enveloppé d’une série de couches plus ou moins diverses, reste inerte tant qu’il n’a pas reçu l’excitation qui en fera sortir un animal. Jusque-là il n’est rien, il n’est qu’un devenir, selon l’heureuse expression d’un physiologiste. Soustrait à cette influence nécessaire, il ne présentera d’autres changemens que ceux qu’amèneront en peu de temps la mort et la décomposition ; mais a-t-il trouvé la vie, aussitôt il entre en travail. L’œuf de grenouille est très propre à l’étude de ce qui se passe alors, grâce à la transparence des enveloppes : l’observateur voit tout à coup le vitellus présenter à sa surface un étranglement circulaire qui en fait le tour comme un méridien. Ce sillon se creuse de plus en plus jusqu’au centre du globe, qu’il sépare à la fin en deux moitiés indépendantes, légèrement aplaties par leurs faces opposées, sans rien qui les relie que le fluide dans lequel les deux demi-sphères flottent suspendues ; mais déjà celles-ci laissent voir qu’elles sont à leur tour le siège d’une opération semblable, elles se partagent en deux, et, le même travail se répétant sur chaque segment nouveau, il arrive même le vitellus finit par se résoudre en une multitude de sphères d’un volume d’autant moindre qu’elles sont plus nombreuses. C’est seulement alors, après cet