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science du moins, a dignement tenu son rang. Dans les études d’embryogénie théorique, il a été le premier à un moment donné et le véritable instigateur des progrès qui ont suivi ; puis il a eu cet autre mérite, moins conforme, dit-on, à notre génie national, d’entrer encore le premier dans la voie des applications pratiques. Peut-être serait-il bon, au moment où l’on semble contester à notre patrie, parce qu’elle a été malheureuse, toute valeur scientifique comme toute initiative, de dresser, nous aussi, l’inventaire de notre patrimoine, afin de rappeler les autres à un peu plus de modestie et nous-mêmes à cette confiance en nos propres forces qui pourra devenir par le travail le fondement d’une véritable régénération.


I

L’étude du développement des êtres ne remonte pas au-delà du monde grec. La science de l’antique Asie, exclusivement tournée vers le cours des astres, n’avait éclairci ni même entrevu aucun des problèmes de la vie. D’ailleurs la formation d’un être qui agit, pense et veut, aux dépens de la matière, inerte en apparence, d’un jaune d’œuf, n’est ni plus ni moins merveilleuse que le reste des fonctions vitales : aussi ne voyons-nous pas que l’attention se boit plutôt portée au début sur l’évolution de l’œuf que vers les autres branches de la biologie. C’est Hippocrate, puis Aristote, chez les Grecs, qui en parlent d’abord et tentent d’expliquer l’apparition de l’embryon. Aristote avait observé les premiers battemens du cœur du poulet, il crut que la vie commençait avec ces oscillations. Après l’antiquité, l’étude du développement, comme toute science, tomba dans une nuit profonde jusqu’à cette aurore de la renaissance où toutes les perspectives attirent à la fois l’esprit humain, réveillé du lourd sommeil où l’avait plongé la barbarie germaine. L’embryogénie va faire un pas immense : on soupçonnera de plus en plus qu’une même loi préside à la reproduction de tous les êtres vivans, aussi bien de ceux qui pondent que de ceux qui donnent le jour à des petits en vie, et l’espèce humaine ne fera point exception ; mais il fallut, pour arriver là, un dur labeur qui dura près de deux siècles. C’est d’abord Fabrice d’Aquapendente qui publie à Venise son Traité de la formation du fœtus (1600) avec de belles planches. Cinquante ans plus tard, Charles Ier, roi d’Angleterre, autorise son médecin Harvey à expérimenter sur les daines et les biches de ses parcs, faveur inouïe en un pays où la chasse du moindre gibier royal était punie des derniers supplices : Harvey fait paraître son Traité de la génération (1651). Le frontispice montre un Jupiter créateur avec un œuf dans la main d’où