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mouvement du prince : les plus vives instances de ses amis politiques l’appelaient ; dès que le traité du 2 août fut signé, il précipita son départ. Avant de quitter Londres, tout en faisant ses adieux au monde officiel de l’Angleterre, il voulut régler la question délicate entamée avec Stanhope, on s’en souvient, dans l’automne de 1716. Il écrivit à ce sujet une longue dépêche au régent où, développant ses vues pour le présent et pour l’avenir, il traçait un plan de séduction bienséante et d’honnête corruption à l’usage du gouvernement français.

Sa connaissance du personnel diplomatique européen lui avait suggéré l’idée de changer les façons grossières de la vénalité et de donner au trafic des consciences l’air galant de la bonne compagnie. « Il ne faut rien négliger, monseigneur, pour gagner l’affection des acteurs grands et petits, non par des propositions directes qui leur fassent penser qu’on les croit capables d’être subornés, mais par des manières nobles qui paraissent partir plutôt de générosité que d’un dessein de surprendre leur fidélité. Votre altesse royale a éprouvé le désintéressement de milord Stanhope. Je voudrais pourtant le tenter encore par quelque galanterie, et si votre altesse royale le priait d’accepter un portrait du roi ou d’elle garni de diamans pour le prix de 50,000 écus ou de 200,000 francs, je doute s’il l’accepterait ; mais, qu’il le refusât ou non, cela ne pourrait faire que bon effet. » Là ne s’arrêtent pas les largesses qu’il conseille à la munificence politique du prince. Il demande 100,000 livres en bijoux pour lord Stair, et 40,000 livres de vaisselle pour le ministre de l’empereur, Penterrieder. « Il est certain que l’argent a de l’ascendant sur Penterrieder, aussi la prudence veut qu’on en profite pour animer sa bonne volonté. » Piquant d’émulation son maître dans cet art perfectionné de gagner les cœurs, il fait valoir les nombreux cadeaux que Penterrieder a déjà reçus du roi George, les larges brèches pratiquées de toutes mains dans l’intégrité du diplomate allemand. « A l’occasion du traité de Bade, bien qu’il ne fût alors que simple secrétaire, le roi d’Angleterre lui a donné 3,000 pistoles ; ces jours-ci, il a commandé à son intention pour 20,000 ou 30,000 livres de vaisselle. Je suis assez entêté de la gloire de son altesse royale pour croire qu’elle ne saurait faire trop à la grande certaines choses ; mais d’un autre côté elle épargnera beaucoup par quelques traits de cette espèce. »

Sur la liste des vertus faciles, Dubois avait placé le commis principal Pecquet : il demandait pour lui une gratification de 15,000 livres au régent, et un diamant au roi d’Angleterre. Pecquet refusa le diamant. Dubois, avec sa gaîté triviale et parfois cynique, insista, priant le maître de faire entendre raison à cette probité de l’autre